Sangha de la forêt
Tradition bouddhiste Theravada d'Ajahn Chah


Ajahn Nyanadhammo

Le Vénérable Ajahn Nyanadhammo est né en Australie en 1955. Il a commencé à s’intéresser au bouddhisme alors qu’il était étudiant en biologie. En 1978 il fit un séjour au monastère thaï de Sydney, Wat Buddhadhamma, puis partit se faire ordonner moine en Thaïlande. C’est en 1979, à l’âge de 24 ans, qu’il reçut la pleine ordination du Vénérable Ajahn Chah, maître de la Tradition de la Forêt au nord-est de la Thaïlande.

Il passa de nombreuses années en « tudong » (en marchant dans la forêt), méditant dans des monastères reculés et cherchant à rencontrer de grands maîtres pour marcher sur leurs traces..

De 1994 à 2002 il fut l’assistant d’Ajahn Brahmavamso au monastère Bodhinyanarama en Australie occidentale et, en 2002, il prit la suite d’Ajahn Jayasaro en tant qu’abbé de Wat Pah Nanachat, le monastère international créé à la suggestion d’Ajahn Chah et dédié à la formation des moines de langue anglaise.













Articles

La méditation en marchant

Introduction

Je voudrais présenter ici les détails pratiques de la méditation en marchant. Je vais traiter du comment, quand, où et pourquoi de cette forme de méditation. Mon intention est d’inclure dans cette présentation aussi bien des instructions pratiques sur les aspects techniques de cette forme de méditation que des instructions créant la qualité d’esprit qui mène au développement de la concentration, de révélations et de la sagesse.

Le Bouddha a insisté sur le développement de la présence d’esprit dans les quatre positions principales: debout, assis, couché et en marchant (DN 22, MN 10). Il nous a incité à être attentifs dans toutes ces positions afin de créer une conscience claire et un rappel constant de ce que nous sommes entrain de faire, dans la position dans laquelle nous sommes.

Si vous lisez l’histoire des moines et des nonnes de l’époque du Bouddha, vous constaterez que nombre d’entre eux ont atteint les étapes de l’Eveil sur leur chemin de méditation. La méditation en marchant se dit cankama en pāli. C’est une activité pendant laquelle on peut focaliser et concentrer l’esprit, ou développer la connaissance par le travail d’enquête et la sagesse.

Il y a des gens qui se trouvent naturellement attirés par la méditation en marchant, parce qu’ils la trouvent plus facile et plus naturelle que la méditation assise. Lorsqu’ils sont assis, ils se sentent lourds d’esprit ou tendus, ou sont facilement distraits.

Leur esprit ne se calme pas. Si c’est votre cas, ne persévérez pas ; faites quelque chose de nouveau et essayez de changer de position.

Faites quelque chose d’autre ; jouez avec la méditation debout ou essayez la méditation en marchant. Cette nouvelle position de méditation peut vous donner d’autres moyens de développer votre habileté à vous appliquer. Ces quatre positions de méditation sont simplement des techniques, des méthodes de développement et d’entraînement de l’esprit.

Essayez de développer la méditation en marchant ; vous pourriez commencer à en apprécier les bénéfices. Dans la tradition de méditation de forêt de la Thaïlande du nord-est, on accorde beaucoup d’importance à la méditation en marchant. Nombre de moines passent des heures à marcher pour développer de la concentration, parfois jusqu’a dix ou quinze heures par jour !

Feu Ajahn Singtong pratiquait tant de méditation en marchant que ses pas avaient creusé une ornière dans son chemin. Le chemin sableux qu’il utilisait pour sa méditation était creusé par les nombreuses heures de marche quotidienne, parfois jusqu’à quinze heures ou plus par jour ! Un autre moine, Ajahn Kum Dtun marchait tant en méditation qu’il ne se souciait même pas de retourner dans sa hutte pour la nuit. Quand il était vraiment fatigué d’avoir marché toute la journée jusqu’à tard le soir, il se couchait où il était sur son chemin de méditation, et utilisait son poing en guise coussin. Il s’endormait avec présence d’esprit, après avoir décidé de se lever l’instant où il se réveillerait. Dès qu’il se réveillait, il recommençait à marcher. Autant dire qu’il vivait sur son chemin de méditation ! Ajahn Kum Dtun a obtenu des résultats rapides dans sa pratique.

En occident, on n’accorde pas une telle importance à la méditation en marchant. Je voudrais donc décrire le processus et vous le recommander comme complément à votre pratique assise. J’espère que ces instructions vous aideront à développer votre répertoire de techniques méditatives, à la fois dans votre méditation formelle et dans votre quotidien. Puisque cette activité qu’est la marche occupe tant de notre vie, si vous savez y appliquer votre attention, alors même les va-et-vient dans la maison peuvent devenir un exercice de méditation.

Les cinq bénéfices de la méditation en marchant

Le Bouddha a décrit cinq bénéfices de la méditation en marchant (AN, III, 29). Les voici dans l’ordre dans lequel il les a donnés dans ce Sutta : ça développe l’endurance ; ça développe l’effort ; c’est sain ; c’est bon pour la digestion, après un repas ; et la concentration qui naît de la méditation en marchant dure longtemps.

Bon pour le développement de l’endurance

Le premier bénéfice de la méditation en marchant est que ça mène à l’endurance pour pouvoir marcher longtemps. C’était particulièrement important à l’époque du Bouddha quant la plupart des gens voyageaient à pied. Le Bouddha lui-même se promenait régulièrement d’un endroit à l’autre, parcourant régulièrement plus d’une quinzaine kilomètres par jour. Il a donc recommandé la méditation en marchant comme moyen de développer la forme physique et l’endurance pour pouvoir marcher longtemps.

De nos jours, les moines de forêt continuent cette pratique de voyager à pied. Ça s’appelle «tudong » (dutanga). Ils prennent leur bol et leurs robes et partent à la recherche d’endroits retirés pour méditer. En guise d’entraînement avant leur départ, ils augmentent progressivement le temps passé à méditer en marchant afin de développer leur forme physique et leur endurance. Ils augmentent le nombre d’heures passées à marcher chaque jour jusqu’au moins cinq ou six. Si vous marchez à environ quatre ou cinq kilomètres à l’heure et que vous passez cinq heures à méditer en marchant chaque jour, le nombre de kilomètres s’accumule.

Bon pour le développement de l’effort

Le développement de l’effort, en particulier pour vaincre la somnolence, est le deuxième bénéfice de la méditation en marchant. Lorsqu’ils pratiquent la méditation assise, les gens peuvent glisser dans des états de tranquillité, mais s’ils sont un peu trop « tranquilles », sans conscience, alors ils risquent de se mettre à piquer du nez, ou même à ronfler. Le temps passe vite, mais ils n’ont aucune clarté ou conscience, malgré le sentiment de paix. Sans présence d’esprit ou conscience, la méditation peut tourner à la lourdeur d’esprit, parce qu’il a été envahi par la paresse et la torpeur. Le développement de la méditation en marchant peut contrer cette tendance.

Ajahn Chah, par exemple, nous recommandait habituellement de rester debout toute la nuit une fois par semaine. On devient très somnolent vers une ou deux heures du matin, alors Ajahn Chah conseillait de méditer en marchant a reculons pour vaincre cette somnolence. On ne s’endort pas en marchant a reculons !

Lorsque je vivais au monastère Bodhinyana, dans l’ouest de l’Australie, je me souviens être sorti tôt un matin, vers cinq heures, pour méditer un peu en marchant. J’ai vu un des laïcs qui passait la retraite des pluies au monastère fournir des efforts considérables pour vaincre la somnolence. Il méditait en marchant au sommet du mur d’enceinte, à deux mètres du sol, devant le portail d’entrée du monastère, et y faisait très consciemment ses allers-retours !

Je craignais qu’il tombe et se fasse du mal. Il faisait pourtant de gros efforts pour être présent à chaque pas, et il était entrain de surmonter la somnolence en développant une vigilance aiguë, de l’effort et du zèle.

Bon pour la santé

Le Bouddha a dit que la méditation en marchant entretenait la santé. C’est là le troisième bénéfice de la méditation en marchant. Nous savons tous que la marche est considérée comme un bon exercice. Ces jours on entend même parler de « power walking ». Ici nous parlons de « power meditation », développer la méditation en marchant comme exercice physique aussi bien que mental. Ainsi la marche peut être employée à la fois comme exercice et comme manière de cultiver l’esprit. Mais pour recevoir ces deux bénéfices nous devons amener de la conscience au processus de la marche, plutˆot que simplement marcher en laissant l’esprit vagabonder et penser `a autre chose.

Bon pour la digestion

Le quatrième bénéfice de la méditation en marchant est que ça promeut une bonne digestion. Ceci est particulièrement important pour les moines qui mangent un seul repas par jour. Après un repas, le sang afflue vers l’estomac, à distance du cerveau. Il arrive donc qu’on se sente lourd. Les moines de forêt insistent qu’après un repas, il faut passer quelques heures à méditer en marchant, parce que faire des allées et venues aide la digestion. Pour les laïcs qui méditent aussi, si vous avez pris un repas lourd, plutôt que d’aller vous allonger, sortez faire une heure de méditation en marchant. Ça mènera au bien-être physique et sera une occasion de cultiver l’esprit.

Bon pour le maintient de la concentration

Le cinquième bénéfice important de la méditation en marchant est que la concentration qui en naît se maintient longtemps. La position de marche est en fait une position de méditation assez grossière comparée à celle assise. Assis, il est facile de maintenir sa posture. Nous avons les yeux fermés, il n’y a donc pas de stimulus visuel, et nous ne sommes engagés dans aucun mouvement physique. L’assise, donc, comparée à la marche, est une posture plus raffinée en ce qui concerne l’activité physique. Il en va de même pour les positions debout et allongée, parce qu’aucun mouvement n’a lieu.

Lorsque nous marchons, il y a beaucoup de stimuli sensoriels. Nous regardons où nous allons ; il y a donc un stimulus visuel, et également un stimulus qui vient du mouvement du corps. Si nous pouvons concentrer l’esprit pendant que nous marchons et que nous recevons tous ces stimuli sensoriels, lorsque nous quittons cette posture pour aller vers une position plus raffinée, notre concentration devient alors plus facile à maintenir. Ainsi, quand nous nous asseyons, la force de l’esprit et la puissance de cette concentration se transfèrent facilement à cette position plus raffinée.

Par contre, si l’on n’a que développé la concentration dans la position assise, quand on quitte cette position et qu’on commence à faire des mouvements physiques plus grossiers tels que marcher, il est plus difficile de maintenir ce niveau de concentration. C’est parce qu’on va du raffiné au grossier. La méditation en marchant peut donc aider à développer de la force et de la clarté d’esprit ainsi qu’une concentration qui peut se transférer à d’autres positions de méditation moins actives.

Se préparer à méditer en marchant

Trouver un lieu convenable

L’endroit où le Bouddha pratiquait la méditation en marchant à Bodhgaya après son Illumination existe encore aujourd’hui. Son chemin de méditation était long de dix-sept pas. De nos jours les moines de forêt tendent à faire des chemins de méditation beaucoup plus longs. Le débutant risque de trouver trente pas un peu trop long, parce que sa présence d’esprit n’est pas encore développée. Au moment où il arrive au bout du chemin, son esprit a parfois déjà fait le tour du monde. Souvenez-vous, la marche, c’est une position stimulante et, au début, l’esprit tend à vagabonder beaucoup. On conseille d’habitude aux débutants de commencer sur un chemin plus court ; une quinzaine de pas est une bonne longueur.

Si vous voulez méditer en marchant à l’extérieur, trouvez-vous un endroit retiré où vous ne serez pas distrait ou dérangé. Il est bon de trouver un chemin de méditation qui soit légèrement à l’abri. Ça peut être distrayant de marcher dans un espace ouvert où il y a un panorama, puisque vous risquez de trouver que l’esprit est attiré par le spectacle. Un espace protégé est particulièrement convenable aux personnes de nature spéculative, qui aiment penser beaucoup ; ça les aide à calmer l’esprit (Vsm, III, 103). Si le chemin est protégé, ça tend à ramener l’esprit à l’intérieur, en dedans de soi et vers la paix.

Préparer le corps et l’esprit

Une fois que vous avez choisi un chemin adéquat, tenez-vous debout à l’une de ses extrémités. Tenez-vous droit. Placez votre main droite par-dessus la gauche devant vous. Ne marchez pas les mains dans le dos. Je me souviens d’un maître de méditation qui visitait le monastère et, en voyant un visiteur qui faisait ses allers-retours les mains dans le dos, a dit : « Il ne médite pas lui, il se promène ! » Il a fait cette remarque parce qu’il manquait une détermination suffisamment claire pour focaliser l’esprit sur la marche en plaçant les mains devant, et ça ne permettait pas de faire la distinction entre la méditation et la marche normale.

La pratique consiste tout d’abord à développer samādhi, et ça requiert un effort focalisé. Le mot pali samādhi signifie focaliser l’esprit, développer l’esprit vers l’unification par étapes successives de présence d’esprit et de concentration. Pour focaliser l’esprit, il faut être diligent et déterminé. Ça demande un certain degré de calme physique aussi bien que mental. On construit tout d’abord ce calme en ramenant les mains devant soi. Calmer le corps aide à calmer l’esprit. Après avoir calmé le corps, il faut se tenir immobile et amener la conscience et l’attention au corps. Puis levez les mains en anjali, un geste de respect, et, les yeux fermés, rappelez-vous les qualités du Bouddha, du Dhamma et de la Sangha (Buddhanussati, Dhammanussati et Sanghanussati).

Vous pouvez contempler le refuge pris dans le Bouddha, le sage, celui qui sait et voit, l’Éveillé, celui qui est parfaitement illuminé. Pendant quelques minutes, réfléchissez dans votre coeur aux qualités du Bouddha. Ensuite rappelez-vous les qualités du Dhamma, la vérité que vous aspirez à réaliser et à cultiver sur le chemin de méditation. Finalement, pensez aux qualités de la Sangha, surtout `a ceux qui, pleinement illuminés, ont réalisé la vérité en cultivant la méditation. Puis ramenez les mains devant vous et déterminez mentalement le temps que vous allez passer à méditer en marchant, que ce soit une demi-heure, une heure, ou plus. Quelque soit la durée déterminée pour marcher, adhérez-y. De cette manière vous nourrissez l’esprit d’enthousiasme, d’inspiration et de confiance pendant cette étape initiale de la méditation.

Il est important de se souvenir de garder les yeux au sol, à environ un mètre et demi ou deux devant soi. Ne vous laissez pas distraire par ceci et cela autour de vous. Maintenez la conscience sur la sensation de la plante des pieds ; vous développez ainsi une attention plus raffinée, et une connaissance claire de la marche pendant la marche.

Les bases de la méditation en marchant et le choix d’un objet

Le Bouddha a enseigné quarante différents objets de méditation (Vsm, III, 104), nombre desquels peuvent être utilisés sur le chemin de marche. Certains sont toutefois mieux adaptés que d’autres. Je vais présenter un certain nombre de ces objets de méditation ici, en commençant par ceux qui sont employés le plus fréquemment.

Conscience de la position de marche

Dans cette méthode, vous placez toute votre attention sur la plante des pieds, sur les sensations ressenties à mesure qu’elles apparaissent et disparaissent. Il est présumé que vous marchez pieds nus, comme le font la plupart des moines ; vous pouvez porter des chaussures à semelles légères si nécessaire. Lorsque vous commencez à marcher, la sensation change. Quand le pied est levé et redescend au contact du chemin, une nouvelle sensation apparaît. Soyez conscient de cette sensation telle qu’elle est ressentie par la plante du pied. Lorsque le pied est à nouveau levé, notez mentalement la nouvelle sensation tandis qu’elle apparaît. Chaque fois que vous levez le pied et le reposez, connaissez les sensations ressenties. A chaque nouveau pas, de nouvelles sensations sont ressenties et de vieilles sensations cessent. Elles doivent être connues avec présence d’esprit. A chaque pas se fait l’expérience de nouvelles sensations. Une sensation qui apparaît, une sensation qui disparaît. Une sensation qui apparaît, une sensation qui disparaît.

Nous plaçons ici l’attention sur la sensation même de la marche, à chaque pas, sur les vedanā (les sensations agréables, désagréables ou neutres). Nous sommes conscients du type de vedanā qui apparaît à la plante des pieds, quel qu’il soit. Quand nous sommes debout, il y a une sensation ressentie au contact du sol. Ce contact peut produire une douleur, de la chaleur ou d’autres sensations.

Nous plaçons notre attention consciente sur ces sensations, les connaissant pleinement. En levant le pied pour faire un pas, la sensation change dès que le pied quitte le sol. En reposant le pied, une nouvelle sensation apparaît dès qu’il reprend contact avec le sol. En marchant, les sensations changent constamment et se renouvellent. Nous remarquons attentivement l’apparition et la disparition des sensations à mesure que les pieds quittent ou reviennent au sol. Nous gardons ainsi notre pleine attention sur les sensations simples qui apparaissent au cours de la marche.

Aviez-vous franchement déjà remarqué les sensations dans les pieds au cours de la marche ? Elles sont présentes chaque fois que nous marchons, mais nous tendons à ne pas remarquer ces choses subtiles dans la vie. Lorsque nous marchons, notre esprit a tendance à être ailleurs. La méditation en marchant est une façon de simplifier ce que nous faisons, pendant que nous le faisons. Nous ramenons l’esprit « ici et maintenant », à l’unisson avec la marche pendant la marche. Nous simplifions tout, calmant l’esprit en connaissant simplement les sensations tandis qu’elles apparaissent et disparaissent.

A quelle vitesse faut-il marcher ? Ajahn Chah conseillait de marcher à un rythme naturel, ni trop vite ni trop lentement. Si vous marchez vite, vous pourriez trouver très difficile de vous concentrer pour ressentir les sensations qui apparaissent et disparaissent. Il vous faut peut-être ralentir un peu. Pour d’autres personnes, au contraire, il est nécessaire d’aller un peu plus rapidement. Ça dépend de la personne. Il vous faut trouver votre propre rythme, celui qui fonctionne pour vous. Vous pouvez commencer doucement et progressivement arriver à votre rythme de marche normal.

Si votre présence d’esprit est faible (c’est-à-dire si votre esprit vagabonde beaucoup), marchez très lentement, jusqu’à ce que vous puissiez rester dans le moment présent à chaque pas. Commencez par établir la présence d’esprit au début du chemin. Quand vous passez le milieu du chemin, demandez-vous : « Où est mon esprit ? Est-il sur les sensations de la plante des pieds ? Suis-je entrain de connaître le contact ici et maintenant, dans ce moment présent ? »

Si l’esprit est parti se promener, ramenez-le à nouveau aux sensations de la plante des pieds et continuez à marcher. Quand vous arrivez au bout du chemin, retournez-vous lentement et rétablissez la présence d’esprit. Où est l’esprit ? Connaît-il les sensations au niveau de la plante des pieds ? Ou est-il parti se promener ? L’esprit a tendance à partir se promener ailleurs, à courir après des pensées d’angoisse, de peur, de bonheur, de chagrin, de soucis, de doutes, de plaisirs, de frustrations et une myriade de pensées susceptibles d’apparaître. Si la conscience de l’objet de méditation n’est pas présente, rétablissez-la d’abord, puis reprenez la marche. Rétablissez l’esprit sur la simple action de marcher et commencez à marcher vers l’autre extrémité du chemin. En passant par le milieu du chemin, remarquez : « Je suis maintenant au milieu du chemin » et vérifiez si l’esprit est avec l’objet de méditation. Puis, en arrivant au bout du chemin, prenez note : « Où est l’esprit ? » Vous marchez ainsi, faisant des allers-retours en ressentant consciemment les sensations qui apparaissent et disparaissent. En marchant, rétablissez constamment votre présence d’esprit, ramenez et attirez l’esprit en dedans, devenez conscient, connaissez la sensation à chaque moment tandis qu’elle apparaît et disparaît.

En maintenant l’esprit présent sur le ressenti au niveau de la plante des pieds, nous remarquons que l’esprit se distrait moins. L’esprit est moins enclin à sortir explorer les choses qui se passent autour de nous. Nous nous calmons. L’esprit va se calmer à mesure qu’il se pose. Une fois que l’esprit est calme et tranquille, il est possible que vous trouviez la position en marchant trop grossière pour cette qualité d’esprit. Vous aurez simplement envie d’ˆêtre immobile. Alors arrêtez-vous et restez debout pour permettre à l’esprit de goûter à ce calme et cette tranquillité. On appelle ça passaddhi ; c’est un des facteurs d’Eveil.

Si en marchant l’esprit devient très raffiné, vous pourriez trouver qu’il est impossible de continuer. La marche implique la volition de se déplacer, et votre esprit pourrait être trop focalisé sur l’objet de méditation pour cela. A ce moment, arrêtez-vous sur le chemin de méditation, et poursuivez la pratique dans la position debout. La méditation concerne le travail de l’esprit, et non une position particulière. La position physique est simplement un moyen pratique de rehausser le travail de l’esprit.

La concentration et la tranquillité travaillent de concert avec la présence d’esprit. Combinées aux facteurs d’énergie, d’investigation du Dhamma, de joie et d’égalité d’humeur, ce sont les « sept facteurs d’éveil ». Quand, dans la méditation, l’esprit est tranquille, cette tranquillité va provoquer l’apparition de sentiments de joie, de ravissement et de béatitude. Le Bouddha a dit que la béatitude de la paix est le plus grand des bonheurs (MN, I, 454), et un esprit concentré goûte à cette paix. Il nous est possible trouver cette paix dans nos vies.

Une fois que nous avons développé la pratique de la méditation en marchant dans un contexte formel, nous pouvons alors utiliser cette activité comme méditation lorsque nous allons ici et là dans notre vie quotidienne, aux magasins, d’une pièce à l’autre ou même à la salle de bains. Nous pouvons alors être simplement conscients de la marche, être juste avec ce processus. Notre esprit peut être calme et paisible. C’est une fa¸con de développer la concentration et la tranquillité dans notre vie quotidienne.

De la méditation assise au chemin de marche

Si, lors de la méditation assise, l’esprit devient tranquille en utilisant un certain objet de méditation, employez alors le même objet en marchant. Avec certains objets de méditation subtils, toutefois, tels que la respiration, l’esprit doit d’abord atteindre un certain degré de stabilité dans cette tranquillité. Si l’esprit n’est pas encore tranquille et que vous entamez la méditation en marchant en focalisant l’attention sur la respiration, ce sera très difficile, parce que la respiration est un objet très subtil. Il est généralement préférable de commencer avec un objet de méditation plus grossier, comme les sensations dans les pieds.

Il existe de nombreux objets de méditation qui se transfèrent très bien de la position assise à la marche, comme par exemple les quatre demeures divines : la bienveillance, la compassion, la joie sympathique et l’égalité d’âme. Au cours de vos allers-retours, développez des pensées expansives basées sur la bienveillance : « Puissent tous les êtres être heureux, puissent tous les êtres trouver la paix, puissent tous les êtres connaître la liberté de toute souffrance ». On peut utiliser la position de la marche en complément à l’assise, en développant la méditation sur le même objet mais dans une position différente.

Le choix d’un mantra

Au cours de la méditation en marchant, si vous vous retrouvez à somnoler, alors activez l’esprit plutôt que de le calmer, en employant un mantra pour le focaliser et l’éveiller d’avantage. Utilisez un mantra comme Bouddho, en répétant le mot silencieusement fois après fois. Si l’esprit vadrouille toujours, commencez alors à dire Bouddho très rapidement et à marcher à plus vive allure. En marchant, récitez Bouddho, Bouddho, Bouddho. L’esprit peut ainsi devenir très rapidement focalisé.

Lorsque Tan Ajahn Mun, le célèbre maître de méditation de forêt, vivait parmi les tribus dans les collines du nord de la Thaïlande, ceux-ci ne connaissaient rien à la méditation, ni aux moines qui méditaient. Ce sont toutefois des gens très curieux. En le voyant faire ses allers-retours sur son chemin, ils se mirent à le suivre à la queue leu leu. Quand il s’est retourné au bout de son chemin, tout le village était là !

Ils l’avaient aperçu faisant ses allers-retours les yeux baissés et avaient présumé qu’il cherchait quelque chose. Ils l’ont interrogé : « Cherchez-vous quelque chose, Vénérable ? Pourrions-nous vous aider à le retrouver ? » Il a astucieusement répondu : « Je cherche Bouddho, le Bouddha dans le coeur. Vous pouvez m’aider à le trouver en faisant des allers-retours sur vos propre chemins ». C’est avec cette instruction simple et belle que de nombreux villageois se sont mis à méditer, et Tan Ajahn Mun a dit qu’ils ont obtenu de très bons résultats.

La contemplation des choses telles qu’elles sont

L’investigation du Dhamma (Dhammavicaya) est un des Facteurs de l’Eveil. C’est une façon de contempler les enseignements Bouddha et les lois de la nature qui peut être utilisée pendant les va-et-vient sur le chemin de méditation. Cela ne signifie pas que l’on se met à cogiter ou qu’on spécule au sujet de tout et de rien. Plutôt, c’est une réflexion et une contemplation constante de la vérité (Dhamma).

L’examen de l’impermanence

On peut par exemple contempler l’impermanence en observant le processus de changement, voyant comment toute chose est sujette `a changement. On développe une perception claire de l’apparition et la disparition de toute expérience. La « vie » est un processus constant d’apparition et de disparition, et toute expérience conditionnée est sujette à cette loi de la nature. Par la contemplation de cette vérité, on remarque les caractéristiques de l’existence. On voit que tout est sujet `a changement. Toute chose est insatisfaisante. Toute chose est sans identité intrinsèque. On peut examiner ces caractéristiques fondamentales de la nature sur le chemin de méditation.

Se rappeler la générosité et la vertu

Le Bouddha revenait sans cesse sur l’importance de la générosité (It, 26) et de la vertu (SN, V, 354). Quand on est sur le chemin de marche, on peut se rappeler sa vertu ou les actes de générosité. En faisant vos allers-retours, demandez-vous : « Quelles actes de bien ai-je fait aujourd’hui ? ».

Un maître de méditation auprès duquel je suis resté expliquait souvent qu’une des raisons pour lesquelles les gens qui méditent ne parviennent pas à s’apaiser, c’est qu’ils n’ont pas fait suffisamment de bien pendant la journée. Le bien est un coussin pour la tranquillité, une base pour la paix. Si nous avons fait des actes de gentillesse pendant la journée, un mot gentil, une bonne action, si on a été généreux ou compatissant, alors l’esprit va goûter à de la joie et de la félicité. Le pouvoir du bien et de la générosité mène au bonheur, et c’est ce bonheur sain qui sert de fondation pour la concentration et la sagesse.

Le rappel de nos bonnes actions est un sujet de méditation très approprié lorsque l’esprit est agité, turbulent, en colère ou frustré. Si l’esprit manque de paix, rappelez-vous alors vos bonnes actions passées. Le but n’est pas de gonfler son ego, mais une reconnaissance du pouvoir du bien et de ce qui est sain. Les actes de gentillesse, la vertu et la générosité amènent de la joie `a l’esprit, et la joie est un facteur d’éveil (SN, V, 68).

Se rappeler ses actes de générosité. Réfléchir aux bénéfices du don. Se rappeler sa propre vertu. Contempler la pureté de l’innocence, la pureté de l’honnêteté, la pureté de l’attitude correcte dans les relations sexuelles, la pureté de la véracité la pureté de l’absence de confusion mentale quand on évite les substances intoxicantes. Tous ces rappels peuvent servir d’objet de méditation sur le chemin de marche.

Se rappeler la nature du corps

On peut aussi méditer sur la mort, ou sur cette nature répugnante du corps, sur les contemplations asubha, sur les différentes étapes de décomposition d’un cadavre. On peut mettre le corps en pièces par le biais de la visualisation, exactement comme un étudiant en médecine dissèquerait un corps. On « pèle » la peau et on « voit » ce qu’il y a dessous, les couches de chair, les tendons, les os, les organes. Mentalement, on peut ôter chaque organe du corps pour l’examiner et le comprendre. De quoi le corps est-il fait ? Quelles sont ses composantes ? Est-ce moi ? Est-ce permanent ? Est-ce digne d’être appelé « soi » ?

Le corps n’est qu’un aspect de la nature, tout comme un arbre ou un nuage : il n’y a aucune différence. Le problème fondamental, c’est l’attachement au corps ; c’est là où l’esprit s’accroche à l’idée que ce corps, c’est mon corps, il s’enchante de « mon » corps, s’enchante du corps des autres. Ceci, c’est « moi ». Ceci, c’est « soi ». Je possède ceci.

On peut défier cet attachement au corps par la contemplation et l’investigation. On peut prendre comme objet les os du corps. Visualisons un os et méditons en marchant, le voyant blanchir, se briser et retourner à l’élément terre. Un os, c’est du calcium qui est absorbé par le corps lors de la consommation de matières végétales et animales ; ça vient de la terre. Des composés chimiques s’assemblent pour former un os, et au bout du compte cet os retournera à la terre.

Le calcium, ce n’est que du calcium ; il ne possède pas la propriété d’être « mon » calcium ou celui de quelqu’un d’autre. Ce n’est que de la terre qui retourne à la terre, tout comme chaque élément retourne à sa forme naturelle. Cet os, ce n’est pas moi ; ce n’est pas le mien ; il ne mérite pas d’être appelé un « soi ». Nous méditons sur un os et le réduisons aux éléments qui le composent, et le rendons `a la terre. Nous le rétablissons, puis le démontons à nouveau, et nous poursuivons ce processus continuellement jusqu’à ce qu’un aperçu spirituel tranché et clair émerge.

Si vous méditez sur le corps et n’avez pas encore complètement réduit l’objet de votre enquête aux quatre éléments - la terre, l’eau, l’air et le feu - puis reconstitué, le travail de la méditation n’est pas encore terminé. L’exercice mental n’a pas encore été complété ; le travail n’est pas accompli. Persévérez. Continuez à marcher. Faites vos allers-retours et examinez jusqu’`a ce que vous soyez capable d’établir dans l’esprit la perception d’asubha dans le subha : de voir ce qui n’est pas beau, ce qui n’est pas ravissant et ce qui n’est pas attirant dans ce qui est pris pour beau, ravissant et attirant. Nous réduisons ce corps aux éléments qui le constituent et le restituons à la nature, pour le voir tel qu’il est vraiment.

Entraîner l’esprit en examinant la nature mène à la sagesse. en répétant ces exercices de réduction du corps à ces quatre éléments - la terre, l’eau, l’air et le feu - l’esprit voit et comprend que ce n’est pas moi, ce n’est pas le mien, ce n’est pas « soi ». Il voit que les quatre éléments constituant le corps sont simplement des aspects de la nature. C’est l’esprit qui s’attache à cette croyance que le corps, c’est « soi ». Par conséquent nous défions cet attachement. Nous refusons de l’accepter aveuglement, parce que c’est précisément cet attachement qui est la cause toutes nos souffrances.

D’autres contemplations

Une autre contemplation qui a été recommandée par le Bouddha est la réflexion sur la paix et sur la nature de la paix (Vsm, 197). Une autre encore est de considérer les qualités de l’illumination. Pour changer un peu, on peut faire ses allers-retours en réfléchissant aux qualités du Bouddha, du Dhamma, ou de la Sangha. On peut encore se rappeler les êtres célestes, les devas, et les qualités requises pour devenir un être divin (Vsm, III, 105).

Une utilisation sage de la contemplation

Il existe beaucoup d’objets de méditation dans le répertoire bouddhiste de méditation. Votre objet de méditation doit être choisi avec soin. Sélectionnez un objet de méditation qui stimule l’esprit quand il a besoin d’être stimulé, ou un objet qui le calme quand il a besoin d’être calmé. Quelques mots de mise en garde sont toutefois nécessaires quand on utilise ces contemplations sur le chemin de marche, pour éviter que l’esprit se perde en spéculations ou se mette à errer. Ça peut arriver très facilement. Il nous faut être très attentifs, et prendre note au début du chemin, à son milieu et à la fin : « Suis-je vraiment avec mon objet de méditation ou suis-je entrain de penser à autre chose ? » Si vous marchez sur votre chemin de méditation pendant quatre heures, mais que votre attention n’est présente que pendant une seule minute de ces quatre heures, vous n’aurez médité qu’une minute.

Souvenez-vous : ce n’est pas combien de méditation nous pratiquons qui compte, mais la qualité de la méditation. Si vous marchez et que l’esprit se promène ailleurs, alors vous n’êtes pas entrain de méditer. Vous n’êtes pas entrain de méditer, dans le sens du terme tel que l’employait le Bouddha, ce sens de bhāvana ou de développement mental (AN, III, 125-127). C’est la qualité d’esprit qui est importante, plutôt que la quantité de méditation qu’on pratique.

Conclusion

Dans l’histoire du bouddhisme, nombre de moines et de nonnes ont eu des révélations, développé de la sagesse et atteint l’éveil pendant qu’ils étaient sur leur chemin de méditation, par l’investigation de la vérité. Dans la tradition monastique de forêt, chaque aspect de notre vie est traité comme une occasion de pratiquer la méditation. La méditation n’est pas simplement réservée pour la position assise. Tous les processus de la vie sont pour nous des occasions d’examiner la réalité. Nous nous battons pour comprendre les choses telles qu’elles sont, telles qu’elles apparaissent et disparaissent, pour comprendre la réalité telle qu’elle est vraiment.

Dans cette discussion de la méditation en marchant, j’espère vous avoir donné de quoi vous permettre d’étendre votre répertoire de techniques méditatives. La méditation en marchant peut être utilisée dans votre quotidien lors de vos activités, aussi bien que lors des périodes formelles de méditation. Elle peut être un autre mode de développement mental. Elle donne du travail à faire à l’esprit. Si vous avez des problèmes de la somnolence, ne restez pas là à piquer du nez ; levez-vous et mettez l’esprit au travail. C’est ça la voie de kammatthāna : le travail fondamental de l’esprit.

Dans la tradition de forêt, chaque fois qu’un maître de méditation rend visite à un monastère, les chemins de méditation des moines sont un des premiers endroits qu’il va inspecter , pour voir s’ils portent des traces de pas. Et si ces chemins de méditation sont bien usés, c’est considéré comme une des marques d’un bon monastère.

Puisse votre chemin de marche être bien usé.

Source : Traduction de Phra Asekho disponible sur dhammadelaforet.org

Commentaires sur le Mahaparinibbana Sutta

Enseignement donné à l’occasion de la fête de Vésak 2002 à la « Buddhist Society of Western Australia ».

La pleine lune du mois de mai est un moment plein de sens pour les Bouddhistes de toutes les traditions. C’est l’occasion de nous souvenir avec gratitude de notre maître, le Bouddha. Il est né à la pleine lune de mai, il a atteint l’éveil à la pleine lune de mai et il est mort en mai, la nuit de la pleine lune. Pour commémorer ces événements, nous célébrons le mois de mai, Vesakha et, comme c’est un moment très important dans le calendrier bouddhique, plusieurs services et cérémonies vont avoir lieu ce week-end.

Comme nombre d’entre vous ne sont pas familiers avec la vie du Bouddha — et peut-être encore moins avec sa mort — il m’a paru opportun de vous commenter le Mahaparinibbana Sutta, l’un des plus longs « discours », qui évoque les derniers jours du Bouddha mais aussi les enseignements qu’il a donné à la fin de sa vie. Je vais commencer par replacer le sutta dans son contexte puis je vous lirai les passages les plus pertinents que je commenterai pour vous.

Le Bouddha est mort à quatre-vingts ans et il a atteint l’Eveil à trente cinq ans. Il a donc œuvré pendant quarante-cinq années dans le nord de l’Inde, se rendant partout où il était invité pour dispenser son enseignement. Le Bouddha savait qu’il allait mourir et avait même prédit sa mort, trois mois auparavant, pour la pleine lune de mai. Pendant ces trois derniers mois, il a multiplié les discours et les déplacements, mettant l’accent sur ses enseignements les plus importants, essayant de donner aux moines, aux nonnes et aux laïcs un résumé du cœur de la Doctrine et puis, juste avant sa mort, il a donné ses ultimes conseils dans ce discours du Mahaparinibbana.

Il faut rappeler que cet enseignement a été donné dans une période d’agitation politique dans la région du Magadha, au nord de l’Inde, où les royaumes se préparaient à entrer en guerre. Le Bouddha commence donc son discours en parlant des conditions nécessaires à la stabilité sociale et à l’harmonie ; puis il donne des conseils aux moines pour leur bien-être et leur développement spirituel ; enfin, il parle des conditions qui mènent à la prospérité et au bonheur, et des conditions qui éloignent du déclin.

Je ne vais pas trop entrer dans le détail du sutta mais je commencerai par le passage où le Bouddha donne une analyse et un résumé de son enseignement. Il se trouve près de la ville de Rajagaha, capitale du très ancien et très puissant royaume du Magadha, et vit aux abords de la ville, en haut d’une montagne nommée le Pic du Vautour car elle est surplombée par un rocher qui ressemble à une tête de vautour. Aujourd’hui nous pouvons encore y voir les restes de la hutte que le Bouddha occupait à l’époque.

Le Bouddha s’adresse ainsi aux moines :

« Voici la moralité, voici la concentration, voici la sagesse. La concentration, pénétrée de vertu, apporte de grands fruits et de grands bienfaits. La sagesse, pénétrée de concentration, apporte de grands fruits et de grands bienfaits. L’esprit, pénétré de sagesse, devient complètement libre de toutes les corruptions, c’est-à-dire de la corruption de la sensualité, du devenir, des concepts erronés et de l’ignorance. »

Le Bouddha résume la Voie qu’il préconise pour réaliser l’Eveil. Cette Voie est fondée sur la vertu et la moralité, la paix de la concentration, et la sagesse. Il souligne que ces trois aspects de la Voie ne doivent pas être pratiqués séparément mais fonctionner ensemble. Quand on aspire à l’Eveil, il ne suffit pas de méditer, on doit aussi pratiquer la vertu et la bonté qui sont la base indispensable et nécessaire pour atteindre des états d’esprit paisibles. Quand la sagesse est imprégnée par la tranquillité d’esprit – sérénité, calme, concentration – elle apporte de grands bienfaits. L’esprit est alors assez fort pour voir les choses clairement et maintenir l’attention sur un objet pendant de longues périodes ; il peut ainsi connaître n’importe quel objet tel qu’il est. L’esprit devient pur, l’esprit devient rayonnant, l’esprit devient malléable, l’esprit devient clair. Dans cette pureté, dans cette clarté, dans cette luminosité, nous avons une vision limpide. Quand nous sommes assiégés par l’anxiété, le doute et le stress, nous sommes généralement trop proches de nos problèmes pour bien les appréhender ; c’est seulement quand nous devenons plus calmes et donc plus clairs dans notre esprit, que nous créons de l’espace pour mieux comprendre ces processus tels qu’ils sont.

Quand l’esprit se renforce par la pureté de la concentration, il se libère des « pollutions ». Dans le bouddhisme on appelle « pollutions » ce qui obscurcit le mental et entraîne la création d’encore davantage d’impuretés. Les pollutions du mental sont de plusieurs sortes :

- Le désir sensuel : c’est la recherche continuelle du plaisir à travers le corps. Dans ce cas, l’esprit n’est jamais en paix. Comment notre esprit peut-il être heureux quand nous recherchons continuellement le plaisir dans les objets que nous voyons, les sons, les sensations physiques, les saveurs ou les odeurs — nous sommes sans cesse projetés vers le monde extérieur ! Quand l’esprit est pur et calme, il est en paix ; nous faisons l’expérience de l’esprit serein, nous connaissons la paix intérieure, le contentement. C’est quand l’esprit reste centré à l’intérieur que nous sommes heureux, pas dans la recherche continuelle des plaisirs extérieurs.

- Le désir d’une existence éternelle : c’est le désir d’être, le désir de devenir, le désir de faire. C’est la peur créée par le sentiment d’un « moi ». Nous ne trouvons jamais la sécurité car tout ce qui menace ce « moi » crée la peur et perpétue le sentiment d’exister.

- La vision erronée : c’est ne pas voir les quatre Nobles Vérités, ne pas voir pourquoi nous souffrons, ne pas voir la cause de la souffrance, ne pas comprendre que l’on peut se libérer et qu’il existe une Voie qui mène à cette Libération. La conséquence naturelle de la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort c’est dukkha — l’insatisfaction, la souffrance. Notre attachement à tout ce qui naît puis disparaît obligatoirement, crée l’insatisfaction. Quand nous voyons que rien n’est stable, que tout apparaît et disparaît, que rien de dure, que le monde est insatisfaisant, nous comprenons que nous ne trouverons pas de sécurité dans ce monde en changement perpétuel. Ce désir de voir les choses durer, de ne pas être séparé de nos proches, de ne connaître que des plaisirs et pas de douleur, est la racine de notre souffrance, dukkha. Est-il possible de n’avoir que des expériences plaisantes, d’être toujours en bonne santé, de ne pas vieillir, de ne pas mourir ? Non, ce n’est pas possible. La nature perpétuellement changeante de l’existence crée la souffrance du fait de notre désir que tout se passe selon nos souhaits. La vision erronée, c’est ne pas voir que, en abandonnant le désir insatiable, nous pouvons nous libérer de la souffrance ; c’est ne pas voir qu’il existe une Voie qui mène à la Libération en laissant la nature suivre son cours : la Voie de la moralité, de la concentration et de la sagesse.

- L’ignorance : c’est ne pas voir la véritable nature des choses ; nous les voyons permanentes alors qu’elles sont impermanentes, nous les voyons substantielles alors qu’elles sont insubstantielles. Nous croyons que les choses nous apportent le bonheur mais, quand elles arrivent à leur terme et disparaissent, cela engendre insatisfaction et chagrin. Nous voyons les choses comme éternellement belles alors que tout se fane. Les fleurs derrière moi sont très belles mais elles vont se faner. Comme nous ne voyons pas le déclin de toutes choses, le déclin de la vie, nous nous attachons à ce qui est beau sans voir que tout prend fin.

Après ce discours le Bouddha continue son périple en Inde et, dans ses derniers jours, le Vénérable Sariputta, l’un des principaux disciples du Bouddha, renommé pour sa sagesse, vient voir le Bouddha et lui déclare :

« Le Bouddha Gautama est certainement le plus grand et le meilleur de tous les êtres éveillés, de tous les bouddhas du passé et du futur … »

Il fait référence au fait qu’un bouddha est un être qui a réalisé la Vérité et qu’il n’y a qu’un seul bouddha par monde et par période cosmique ; dans ce contexte, le Bouddha Gautama se situe entre les bouddhas du passé et ceux du futur. Alors, le Bouddha demande à Sariputta :

« Connais-tu vraiment l’esprit de tous les bouddhas du passé, connais-tu leur moralité, connais-tu l’étendue de leurs enseignements, connais-tu leur sagesse et connais-tu la voie qui les a menés à la Libération ?

« Non, en aucun cas, Vénérable », répond Sariputta, et il continue avec cette déclaration intéressante :

« Vénérable, l’esprit des arahants, de tous les bouddhas éveillés du passé, du futur et du présent n’est pas ouvert à ma compréhension. Mais je connais l’étendue du Dhamma, je comprends leurs enseignements… »

« Tous ces bouddha éveillés du passé ont atteint le suprême Eveil en abandonnant les cinq obstacles - qui affaiblissent la compréhension. L’esprit fermement établi dans les quatre fondations de l’attention, ils réalisent les sept facteurs d’Eveil tels qu’ils sont. Tous les bouddhas du futur feront la même chose. Et vous, Vénérable, qui maintenant êtes l’Arahant, le Bouddha pleinement éveillé, avez fait de même. »

Le Bouddha approuve les paroles de Sariputta. En effet, pour devenir un Eveillé, il faut développer trois qualités d’esprit :

- Abandonner les cinq obstacles qui affaiblissent la sagesse et la compréhension et sont la nourriture de l’ignorance :

· La sensualité : la recherche des plaisirs par le corps.

· La négativité, l’aversion : une personne en colère ne voit pas les choses clairement et fait du mal. L’aversion et la sensualité nous sont préjudiciables, nous ne recherchons que notre propre plaisir et pouvons exploiter les autres du fait de notre désir. L’aversion et la sensualité détruisent la clarté et la sagesse.

· Le doute et la confusion : quelle est la Voie vers la paix, vers la Libération ? Pourquoi suis-je né ? Où vais-je aller après la mort ? Ces doutes sur la direction à suivre dans notre vie et sur le chemin spirituel conduisent à la confusion. Chez un être éveillé, le doute est détruit.

· La paresse et la torpeur : ces deux obstacles ont été détruits chez un être éveillé. Son esprit est clair, lumineux et alerte.

· L’agitation de l’esprit : celle-ci a aussi été détruite chez un être éveillé. Son esprit est serein, paisible, inébranlable. Nos actions, nos envies d’agir et de parler viennent de l’agitation, du manque de contentement, de l’impossibilité à rester posés. C’est cette agitation qui nous pousse à rechercher sans cesse les plaisirs extérieurs qui, à leur tour, nous conduisent à plus d’agitation.

- Les êtres éveillés développent un autre facteur : les quatre Etablissements de l’Attention.

· C’est demeurer conscient de son propre corps et de ses gestes. Si nous ne restons pas à l’intérieur nous sommes ailleurs, nous ne sommes pas ici et maintenant.

· C’est connaître les sensations : la nature plaisante, déplaisante et neutre des sensations du corps et de l’esprit et voir les sensations apparaître et disparaître. Nous ne sommes plus esclaves des sensations qui créent l’envie et le désir. Si nous faisons l’expérience d’une sensation plaisante, nous voulons la maintenir mais, si avons une douleur, nous voulons qu’elle s’arrête et disparaisse — l’esprit rejette la douleur. Et, la plupart du temps, nous ne sommes pas conscients des sensations neutres. L’esprit éveillé connaît les sensations quand elles apparaissent et disparaissent ; il distingue les types de sensations : corporelles ou mentales, plaisir, douleur ou sensations neutres ; il connaît aussi leurs caractéristiques : ceci n’est pas moi, ceci n’est pas mien, ceci n’est pas personnel.

· L’esprit éveillé est conscient des pensées quand elles apparaissent et disparaissent, il voit les opini

et les idées comme des phénomènes conditionnés. Il pratique aussi la contemplation des phénomènes — les dhamma.

- Les êtres éveillés doivent aussi développer les sept Facteurs d’Eveil, ces qualités qui conduisent à la Libération.

· L’attention : c’est être constamment alerte, pleinement conscient du moment présent, savoir, se souvenir.

· ’effort juste : c’est avoir l’énergie nécessaire pour développer des états d’esprit sains et surmonter les états d’esprit malsains. C’est maintenir des qualités saines et abandonner les qualités malsaines. C’est aussi maintenir le plus longtemps possible dans notre esprit une pensée d’amour bienveillant qui apparaît — et c’est ce type d’effort qui vous conduira vers la Libération. Si nous voyons apparaître dans notre esprit la colère, la sensualité, la cruauté nous devons faire l’effort d’abandonner ces pensées et de reconnaître que ces émotions sont très éloignées de celles d’un être éveillé. Est-ce que je voudrais mourir avec des pensées de colère ? Une pensée de colère n’est pas l’attribut d’un Arahant ; une pensée d’égoïsme n’est pas appropriée pour une personne qui recherche la plus haute libération — vous devez aussi abandonner les concepts erronés, la peur, l’anxiété et l’orgueil.

· L’investigation : vous devez investiguer, c’est-à-dire approfondir tous les phénomènes dont vous faites l’expérience pour en voir la vérité.

· La tranquillité : vous devez aussi développer la tranquillité, le calme et le contentement. Et comment devenir tranquille ? En cultivant un état de joie et de contentement dans l’esprit. L’esprit devient serein quand il est joyeux et sain. La joie, la bonté et les pensées nobles rendent l’esprit heureux et joyeux, ce qui calme aussi bien le corps que l’esprit. C’est comme pendant vos vacances : vous êtes calme et détendu, vous vous allongez sur la plage. Vous laissez aller le monde, vous laissez aller les choses, vous faites confiance à votre propre gentillesse, à votre vertu et ainsi vous vous apaisez, vous vous relaxez et vous relâchez les tensions.

· La joie, la concentration et l’équanimité sont les autres Facteurs d’Eveil qui doivent être développés.

Plus loin dans le sutta le Bouddha s’adresse aux moines.

« Moines, c’est en ne comprenant pas, en ne pénétrant pas, les quatre Nobles Vérités que j’ai moi-même, ainsi que vous tous, parcouru le cercle des naissances et des morts pendant des temps infinis. Quelles sont ces Vérités ?

En ne comprenant pas la Noble Vérité de la souffrance nous avons alimenté ce cycle.

En ne comprenant pas les Nobles Vérités de l’origine de la souffrance, de la cessation de la souffrance et du chemin qui mène à la cessation de la souffrance, nous avons alimenté ce cycle de la naissance et de la mort.

Mais en comprenant et en pénétrant ces mêmes Nobles Vérités de la souffrance, de l’origine de la souffrance, de la cessation de la souffrance et du chemin qui mène à la cessation de la souffrance le désir de devenir — d’une nouvelle existence — est détruit. »

Le Bouddha donne ici un résumé de son enseignement et nous explique la raison pour laquelle nous — comme lui-même avant son Eveil — parcourons indéfiniment le cercle des naissances et des morts et vivons dans le samsara : parce que nous ne comprenons pas la Noble Vérité de la souffrance. Nous ne comprenons pas que la naissance est souffrance, que la vieillesse est souffrance, que la douleur le chagrin et le désespoir sont souffrance, qu’obtenir ce que nous ne voulons pas est souffrance, qu’être séparé de ceux que nous chérissons est souffrance. Du fait de leur changement continuel, les cinq agrégats – le corps, les pensées, les sensations, les perceptions et la conscience sensorielle – sont aussi souffrance. Ne comprenant pas cela, nous nous attachons avec désir à notre vie et continuons indéfiniment notre existence dans le samsara. C’est seulement par la connaissance des ces quatre Vérités que nous pouvons nous libérer du devenir.

Le Bouddha reprend son périple et arrive au village de Nadika. Rappelons qu’il est alors âgé de quatre-vingts ans et qu’il continue à voyager à pied et à donner des enseignements. Ananda, disciple et assistant personnel du Bouddha, lui demande où ont repris naissance tous les laïcs de cette ville qui sont morts. Le Bouddha, qui avait la capacité de voir les sphères de renaissance des défunts, lui répond :

« Ananda, à Nadika, plus de cinquante disciples laïcs ont détruit la loi du samsara, connu une renaissance spontanée et atteint l’éveil ; ils ne reviendront plus dans ce monde.

Quatre-vingt-dix autres laïcs, en détruisant les trois chaînes de l’avidité, la haine et l’illusion, sont devenus « Ceux qui ne reviennent qu’une seule fois », ils ne reviendront qu’une seule fois dans ce monde et mettront alors fin à leur souffrance.

Cinq cents autres, par la destruction des trois chaînes, sont devenus « Ceux qui sont entrés dans le courant », ils ne pourront plus tomber dans les états inférieurs et sont certains d’atteindre un jour le Nibbana. »

Le Bouddha explique que cinquante disciples laïcs ont atteint l’état de « Celui qui ne reviendra plus en ce monde » et, dans leur prochaine existence, vont donc entrer dans le Nibbana. Un certain nombre ont atteint l’état de « Celui qui ne revient qu’une seule fois » et cinq cents disciples ont atteint l’état de « Celui qui entre dans le courant », qui ont « l’œil du Dhamma », c’est-à-dire qu’ils voient et comprennent les quatre Nobles Vérités et sont assurés d’atteindre l’Eveil. En ce temps-là, beaucoup de disciples du Bouddha comprenaient le Dhamma.

Il est intéressant de souligner la remarque que le Bouddha fait à Ananda :

«Ananda, il n’y a rien d’étonnant à ce que les êtres humains doivent mourir. Mais je t’ai enseigné un moyen de comprendre le Dhamma qui se nomme « le miroir du Dhamma ». Un noble disciple, très déterminé, peut comprendre par lui-même : « Je me suis libéré de l’enfer, de toute possibilité de renaissance animale ou dans la sphère des fantômes et de la souffrance. Je suis un ‘vainqueur du courant’, je ne risque plus de retomber dans ces états de souffrance et je suis certain d’atteindre l’Eveil. »

Le Bouddha explique à Ananda qu’au lieu de répondre à ses incessantes questions sur la renaissance des êtres, il va lui donner un enseignement pour que, dans le présent et le futur, une personne comprenant ses enseignements puisse regarder dans « le miroir du Dhamma » et se dire : « Suis-je loin de l’Eveil ? Vais-je atteindre l’Eveil ? Vais-je « entrer dans le courant » et ne revenir sur cette terre que sept fois au maximum ? »

« C’est grâce à ce miroir que nous pouvons voir. Alors, Ananda, le noble disciple, possède une foi inébranlable dans le Bouddha : ‘Le béni du ciel est un Arahant, un Bouddha pleinement éveillé, à la conduite et à la sagesse parfaites, protecteur des êtres, connaisseur des mondes, suprême instructeur des êtres, enseignant des hommes et des dieux, éveillé, béni du ciel’. »

Si vous avez une confiance inébranlable dans le Bouddha qui est un parfait Eveillé, un Arahant qui a détruit la convoitise, la haine et l’illusion; si vous avez foi dans sa connaissance de la Voie qui mène à la Libération et dans le fait qu’il peut guider ceux qui suivront cette Voie — c’est l’un des aspects du miroir du Dhamma qui vous permet de savoir que vous êtes destiné à l’Eveil.

« Si quelqu’un possède une foi inébranlable dans le Dhamma : 'Bien exposé est le Dhamma par le Bouddha, visible ici et maintenant, intemporel, il invite à l'examen approfondi, il conduit à l’intérieur, pour que les sages le comprennent chacun par eux-mêmes’.»

Le Bouddha explique que son enseignement doit être étudié, doit être porté en soi et pratiqué. Cet enseignement est intemporel, ce n’est pas une ancienne tradition qui ne conviendrait qu’aux contemporains du Bouddha, il y a deux mille cinq cents ans en Inde. Le Dhamma est applicable ici et maintenant, le Dhamma est à connaître ici et maintenant, il est visible ici et maintenant. L’esprit de l’un d’entre vous peut s’éveiller et voir le Dhamma, ici et maintenant. Le Dhamma est intemporel, il n’est pas enchaîné pas la convention du temps, il encourage l’investigation : est-ce vrai ? Que puis-je connaître de la souffrance ? Y a-t-il de la souffrance dans ma vie ? A quoi suis-je attaché ? Où sont mes passions ? Où sont mes aversions ? Où sont mes désirs ? La cause de ma souffrance est-elle liée à mes attachements ?

Tout cela vous le voyez sans l’aide d’une autre personne ; vous le voyez par vous-même. Vous voyez qu’en abandonnant vos désirs et vos attachements, vous pouvez vous libérer de la douleur et de la souffrance. Vous voyez aussi que la Voie de la moralité, de la concentration et de la sagesse purifie votre esprit et conduit à la liberté.

L’enseignement du Bouddha ne vous conduit pas à l’extérieur, à la recherche d’informations et de connaissances sur le monde ’’du dehors’’, mais à l’intérieur de vous-même, à la rencontre de votre corps et de votre esprit. Que pouvons-nous connaître de notre propre corps et de notre propre esprit ? Que pouvons-nous voir et comprendre sur ce qui se passe dans notre propre monde, celui dont nous faisons l’expérience ?

Tous les sages peuvent le comprendre par eux-mêmes. Cette compréhension de nous-mêmes ne peut être réalisée que par nous-mêmes quand nous nous éveillons. Vous savez si vous êtes en colère ou non, vous reconnaissez l’attachement, l’illusion. Mais vous reconnaissez aussi que vous pouvez être libre de la colère, vous reconnaissez l’amitié bienveillante, vous reconnaissez la compassion, vous reconnaissez les pensées de renonciation et de générosité. Nous pouvons savoir tout cela, c’est la libération de ces états malsains. Nous comprenons par nous-mêmes, sans demander confirmation à une autre personne : ceci est-il ou n’est-il pas souffrance ?

Le Bouddha exprime ici la vérité du Dhamma : tournez votre regard vers l’intérieur, vers vous-même, vers votre esprit.

« Il possède une foi inébranlable dans le Sangha. Bien dirigé est le Sangha des disciples du Bouddha avec leur comportement éclairé sur le chemin juste, le chemin parfait. Ce sont les quatre paires de personnes et les huit classes d’humains. »

Ce sont les disciples éveillés du Bouddha : ceux qui ont confiance dans le Bouddha, pratiquent la Voie et deviennent des êtres éveillés. Vous-même, si vous avez confiance dans ces enseignements, si vous faites un effort suffisant, vous avancerez sur la Voie et développerez les qualités nécessaires pour réaliser l’Eveil.

Les quatre paires de personnes et les huit classes d’êtres humains sont :

- Ceux qui sont « entrés dans le courant » (les personnes qui voient le Dhamma) et ceux qui sont sur la Voie pour réaliser le Dhamma, c’est-à-dire proches du but.

- Ceux qui « ne reviennent qu’une seule fois » et ceux qui sont sur la Voie pour ne revenir qu’une seule fois.

- Ceux qui « ne reviendront plus » et ceux qui sont sur la Voie pour ne plus revenir.

- Ceux qui sont pleinement éveillés et ceux qui sont sur la Voie pour devenir pleinement éveillés.

Tous ceux-là sont appelés « les huit classes d’êtres nobles dans le monde ». De telles personnes destinées à l’Eveil sont nobles et rares. Rencontrer un être éveillé est très rare et c’est une grande bénédiction. Le simple fait de savoir qu’il existe des êtres éveillés dans le monde nous donne l’occasion de réfléchir : quelqu’un a surmonté la colère dans son esprit, moi aussi je peux dépasser ma colère ; quelqu’un a surmonté l’égoïsme, moi aussi je peux le faire ; quelqu’un a surmonté la peur et l’illusion, moi aussi je peux le faire. Nous sommes emplis de confiance et faisons l’effort de lutter pour notre libération.

« Cette compréhension est appelé « le miroir du Dhamma ». Ainsi les nobles disciples savent par eux-mêmes : ‘J’ai détruit les royaumes inférieurs, j’ai vaincu le courant, je suis certain d’atteindre l’Eveil’. »

De telles personnes ont foi et confiance dans le Bouddha éveillé, dans son enseignement et dans la Voie qu’il a tracée.

Le Bouddha passe ensuite la saison des pluies à Beluva où il tombe malade. Il endure des douleurs aigües sans aucune plainte et en pleine conscience.

« Je suis vieux maintenant, Ananda, mon corps est épuisé. J’ai atteint le terme de ma vie à quatre-vingts ans. Tout comme on maintient une vieille charrette en état avec des sangles, le corps du Tathagata est maintenu en vie avec de l’aide. C’est seulement quand le Tathagata éloigne son attention des objets extérieurs et, avec la cessation des sensations, entre dans la concentration de l’esprit — la concentration sans signes — que son corps retrouve un peu d’aise. »

Le Bouddha explique qu’il recherche le confort des états de concentration profonde pour échapper à son vieux corps usé et aux sensations douloureuses. Même un bouddha peut ressentir de la douleur. Vous aussi, si vous vous éveillez, vous ressentirez encore la douleur physique mais vous ne ressentirez plus de douleur mentale ni d’angoisse – vous serez libéré de l’inconfort de la souffrance mentale.

Après s’être rétabli de cette maladie, le Bouddha sermonne Ananda qui l’interroge sur les dernières instructions à donner à la communauté des moines (bhikkhu) ; c’est un sujet très important que le Bouddha tient à préciser.

« Ananda ne me demande pas de faire une déclaration sur la communauté des moines. Je vous ai enseigné le Dhamma. Je n’ai pas eu d’enseignement secret, je n’ai jamais enseigné le poing fermé mais dans le respect du Dhamma. »

Le Bouddha explique qu’il n’a pas enseigné à un cercle restreint de disciples, il a enseigné le Dhamma pour le bien de tous. Il n’y a pas, dans le bouddhisme, un enseignement ésotérique destiné à des disciples proches et auquel la grande majorité n’aurait pas accès. Le Bouddha explique qu’il a toujours enseigné le Dhamma librement, la vérité a toujours été exposée à tous ceux qui désiraient la connaître. Le Dhamma n’a pas été limité à un cercle restreint de disciples qui auraient suivi telle ou telle initiation ou fait une grosse donation. Cette vérité est offerte librement à ceux qui cherchent la Libération, aux sages qui n’ont que peu de poussière dans les yeux. Le Bouddha est catégorique : il n’enseigne pas avec le poing fermé mais avec la main ouverte, il n’y a pas d’enseignement secret, il a toujours enseigné ouvertement.

Le Bouddha fait ensuite une déclaration, très célèbre, que vous avez certainement déjà entendue.

« En conséquence, Ananda, soyez des îles pour vous-mêmes, soyez votre propre refuge, n’ayez personne d’autre pour refuge. Que le Dhamma soit votre île, que le Dhamma soit votre refuge, ne cherchez aucun autre refuge. Et comment une personne vit-elle en étant une île pour elle-même, sans chercher d’autre refuge ? Voilà Ananda : cette personne demeure dans la contemplation du corps, honnêtement, clairement consciente, attentive, ayant éloigné tout attachement et inquiétude par rapport au monde. Elle fait de même pour les sensations, pour l’esprit et pour les objets mentaux. Voici, Ananda, comment une personne vit en étant une île pour elle-même, sans aucun autre refuge. Ceux qui, maintenant ou après moi, vivront ainsi deviendront des Eveillés, deviendront les meilleurs êtres qui soient, s’ils sont désireux d’apprendre.

Le Bouddha explique qu’il n’a conservé aucun enseignement secret pour ses derniers moments ou pour certains de ses disciples. Il a enseigné le Dhamma qui est la Vérité et qui doit être pris comme refuge. Ne cherchez pas refuge chez une autre personne ou dans quelque chose d’extérieur à vous-même ; mais cherchez refuge dans votre île qu’est le Dhamma, dans la Vérité. Et comment connaître cette Vérité ? En développant l’attention au corps, aux sensations, à l’esprit et aux objets mentaux, parce que tel est notre monde. Nous pouvons connaître notre corps, nos sensations, nos pensées, nos idées et les concepts qui traversent notre esprit quand il est pacifié et attentif. Ne prenez pas refuge dans les choses extérieures, les traditions, la vie matérielle, mais prenez refuge dans le Dhamma, la vérité. Faites-en votre île.

Le Vénérable Ananda demande au Bouddha : « Qui devrons-nous croire après votre mort, comment reconnaître un maître qui enseigne le Dhamma ? » Le Bouddha répond qu’il ne faudra pas accepter ou rejeter les enseignements de tel ou tel maître qui se réclame du Dhamma mais écouter avec attention et comparer cet enseignement avec les paroles du Bouddha dans les sutta. Quel que soit l’enseignant, si ses paroles sont en accord avec les sutta alors vous pouvez vous dire : « Oui, je reconnais les paroles du Bouddha. Ce moine a bien compris la doctrine du Maître. »

C’est un aspect très important du Dhamma. Ainsi, ne dites pas que tout ce que dit Ajahn Nyanadhammo est la vérité mais comparez mes paroles avec celles du Bouddha dans les sutta. En tant que bouddhistes, nous prenons refuge dans le Bouddha, le Dhamma et le Sangha, et il nous est toujours possible de nous référer aux sutta et de jauger les paroles d’un enseignant par rapport à eux.

« Moines, c’est en ne comprenant pas et en ne pénétrant pas quatre choses que moi-même ainsi que vous sommes entrés dans ce très long cycle de naissance et de mort. Que sont ces quatre choses ? C’est en ne comprenant pas la vertu des Eveillés, la vertu des êtres nobles ; c’est en ne comprenant pas la noble concentration ; c’est en ne comprenant pas la noble sagesse ; c’est en ne comprenant pas la noble Libération que moi-même ainsi que vous sommes entrés dans ce très long cycle des renaissances. Mais c’est en comprenant et en pénétrant la noble vertu, la noble concentration, la noble sagesse et la noble libération que le désir de devenir a été coupé, la tendance à vouloir exister a été détruite. »

Ne comprenant pas la noble vertu, la noble concentration, la noble sagesse et la noble libération, nous faisons toujours les mêmes erreurs et sommes entraînés dans le cycle infini des naissances et des morts. Mais si nous développons la compréhension et cultivons la vertu, nous nous purifions et sommes enclins à la noble concentration. Quand nous purifions nos pensées, que notre esprit est calme et concentré, il devient lumineux et malléable, il devient pur. Alors la noble sagesse se développe, nous voyons les choses telles qu’elles sont – nous voyons l’apparition et la disparition des phénomènes, nous voyons l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi. Cette noble sagesse nous conduira à la noble Libération car nous aurons détruit les causes du devenir. Comme tous ces enseignements sont parvenus jusqu'à nous, nous avons la possibilité de faire mûrir le Dhamma dans notre cœur et dans notre esprit.

Le Bouddha, qui vit ses derniers jours, est invité à déjeuner chez Cunda – qui était, de par sa famille, travailleur des métaux. Après ce repas, le Bouddha tombe gravement malade et souffre de douleurs aiguës qu’il supporte en toute conscience, sans aucune plainte.

« Le Bouddha s’adresse au vénérable Ananda : ‘Allons à Kusinara, Ananda’. ‘Très bien’ répond Ananda.

A la suite de ce repas le Bouddha est terrassé par une intoxication alimentaire et s’adresse à Ananda.

« Il pourrait arriver, Ananda, que le forgeron Cunda soit pris de remords en pensant : ‘J’ai offert le repas qui a occasionné une maladie mortelle au Bouddha’. Il pourrait s’accuser que ce dernier repas, préparé par lui, ait causé l’entrée dans le Nibbana final du Bouddha. Mais le forgeron Cunda ne devrait pas avoir de remords. Va voir ce forgeron et dis-lui : ‘C’est ton mérite Cunda, c’est ta bonne action, le Tathāgata a atteint le Nibbana final après avoir pris son dernier repas chez toi. Ami Cunda j’ai entendu, de la bouche même du Bouddha, et compris qu’il y a deux sortes d’offrandes qui apportent de grands mérites, de très grands résultats, plus de fruits et de bienfaits que n’importe quelle autre. Quelles sont ces deux offrandes ? La première est le don de nourriture que le Tathāgata a mangé juste avant son suprême Eveil, et l’autre est le don de nourriture que le Tathāgata a mangé juste avant d’atteindre le Nibbana ultime, sans résidu, après son dernier souffle. Ces deux offrandes sont beaucoup plus profitables que n’importe quelle autre. L’action de Cunda va lui apporter une longue vie, le bonheur, la prospérité et la noblesse.’ »

Le Bouddha demande à Ananda de retourner voir Cunda pour le rassurer : il ne doit pas se sentir coupable d’avoir offert le repas qui a rendu malade le Bouddha car la mort est inévitable. Le Bouddha est simplement arrivé à la fin de sa vie, c’est la loi des causes et des effets. Le don de ce repas, offert sans mauvaise intention, apporte de grands mérites. De même, offrir le repas qu’un bodhisattva prend juste avant son Eveil apporte de grands mérites car c’est l’une des causes et conditions qui donnent la force physique de réaliser le Nibbana.

De plus en plus faible, le Bouddha s’assoit au pied d’un arbre au bord de la route. Pukkusa le Malla, qui passait par là, vient parler avec le Bouddha. A la fin de la conversation se sentant inspiré par l’enseignement du Bouddha, Pukkusa lui offre, ainsi qu’à Ananda, un ensemble de robes aux reflets dorés.

« C’est merveilleux Vénérable, c’est extraordinaire comment la peau du Bouddha apparaît claire et lumineuse ; elle est plus radieuse que les robes tissées d’or dans lesquelles je vous ai drapé. C’est vrai, Ananda, il y a deux occasions où la peau d’un Tathāgata apparaît spécialement claire et radieuse, quelles sont-elles ? La première est la nuit où le Tathāgata atteint l’Eveil suprême, et l’autre est la nuit où le Tathāgata atteint le Nibbana ultime, sans résidu, après son dernier souffle. En ces deux occasions, la peau d’un Tathāgata apparaît spécialement claire et radieuse. »

Il y a deux occasions dans la vie d’un Bouddha où sa peau devient rayonnante (c’est ce qui explique les représentations traditionnelles du Bouddha recouvertes d’or) : le jour de son Eveil et celui de sa mort.

« Cette nuit, Ananda, pendant la dernière veille de la nuit… » (Entre 3 et 6 heure du matin) «… dans le bosquet de salas, près de Kusinara, entre deux arbres sala, le Bouddha vivra ses derniers instants. Maintenant Ananda, allons à Kusinara »

Le Bouddha dit à Ananda : « Cette nuit je vais mourir. » Puis ils repartent à pied pour Kusinara.

Et le Béni du Ciel, de même qu'une grande compagnie de bhikkhus, partit de l'autre côté de la

Hiraññavati, au Bosquet de Salas des Mallas, aux environs de Kusinara. Et là il s'adressa au

Vénérable Ananda, en disant:

« Ananda, prépare-moi une couche entre les deux arbres sala, la tête au nord. Je suis fatigué, Ananda, et je veux m'étendre. »

Le Bouddha s’allongea, la tête au nord, sur le côté droit en posant un pied sur l’autre, en pleine conscience, dans la posture du lion. Son attention était claire et lumineuse.

« Les deux arbres sala se mirent à fleurir, bien que ce ne fut pas la saison, et une pluie de fleurs recouvrit le corps du Bouddha en hommage. »

« Des fleurs du divin arbre coral tombèrent du ciel, l’air fut rempli d’une fragrance de bois de santal qui enveloppa le corps du Tathāgata tandis qu’une musique divine provenait du ciel. »

«Ananda, ces arbres qui fleurissent, bien que ce ne soit pas la saison, et cette musique divine, sont une manière de rendre hommage au Bouddha ».

« Mais Ananda, quel que soit le moine ou la nonne, le laïc ou la laïque qui demeure dans la pratique juste du Dhamma et réalise parfaitement la voie du Dhamma, il ou elle honore le Tathāgata, le révère, l’estime et lui rend le suprême hommage. En conséquence, Ananda, nous devons demeurer dans la pratique juste du Dhamma et accomplir parfaitement la voie du Dhamma. Que ces paroles soient votre mot d’ordre. »

Le Bouddha explique que le plus grand hommage qu’on puisse lui rendre est de mettre en pratique son enseignement et non de lui offrir de l’encens ou des pétales de fleurs qui ne font preuve que d’une simple dévotion. Parfaire la voie du Dhamma est la seule manière de rendre hommage au Bouddha. Ananda interroge le Bouddha :

« Auparavant, où que vous soyez, les moines venaient vous voir et vous rendre visite mais maintenant, où devront-ils se rendre pour se souvenir de vous ? »

Le Bouddha répond :

« Vénérable Ananda, il y a quatre endroits dont la vue devrait éveiller de l’émotion chez les fidèles. Quels sont-ils ? Le lieu de naissance du Tathāgata est le premier ; l’endroit où le Tathāgata a obtenu l’Eveil suprême est le second ; l’endroit où le Tathāgata a mis en marche la roue du Dhamma est le troisième ; et l’endroit où le Tathāgata a atteint le Parinibbana absolu sans résidu est le dernier. Ici Ananda, les fidèles moines, nonnes, laïcs et laïques qui visiteront ces endroits et ceux qui mourront en faisant le pèlerinage vers ces lieux saints, le cœur plein de dévotion, renaîtront, après la dissolution du corps, dans un royaume céleste. »

Si vous voulez vous souvenir du Tathâgata si vous voulez faire le pèlerinage, faites comme le Bouddha l’a dit dans sa dernière nuit, allez sur le lieu de sa naissance, allez sur le lieu où il a obtenu l’éveil à Bodhgaya, allez à Sarnath où il a enseigné le Dhamma et allez a Kusinara où il est mort. Allez saluer et vénérer ces lieux en vous souvenant du Bouddha de son enseignement et de la Sangha, ceci au profit d’une longue vie et du bonheur.

Ananda demande au Bouddha ses souhaits pour ses funérailles.

« Ne te soucie pas, Ananda, de la préparation de mes funérailles. Tu devrais, au contraire, lutter pour le plus noble but, te consacrer entièrement à ce noble but. Travaille sur ton esprit avec zèle et sans fatigue, engagé pour le plus noble but. »

Le Bouddha explique alors à Ananda que des laïcs prendront soin du corps du Tathâgata et s’occuperons des funérailles. La préoccupation constante du Bouddha était d’inciter les moines à réaliser le Dhamma sans se soucier du corps – y compris du sien.

Ananda demande au Bouddha « que devrons nous faire avec vos cendres après la crémation ? »

Le Bouddha suggère :

« Il serait approprié de construire un stupa. »

Voici comment, dans le Bouddhisme, est née la tradition des stupas : parce que le Bouddha lui-même a suggéré de mettre ses cendres dans un stupa.

« Et quiconque apportera à cet endroit des fleurs et de doux parfums, le coeur plein de dévotion, en retirera de grands bénéfices pour une longue période. »

« Il y a quatre personnes, Ananda, qui sont dignes d'un stupa. Qui sont ces quatre ? Un Tathāgata, un Arahant, un Etre pleinement éveillé sont dignes d'un stupa ; un Paccekabuddha, le disciple d'un Tathāgata, ainsi qu'un monarque universel le sont également. »

Ananda, le cousin du Bouddha, qui s’occupe de lui depuis de nombreuses années, est « entré dans le courant » mais il est submergé par le chagrin et part pleurer et se lamenter à l’écart :

« Je ne suis encore qu'un apprenti avec beaucoup à apprendre. Mais, hélas, mon Maître, qui était si compatissant envers moi, est sur le point de décéder ! »

Le Bouddha, pourtant très malade, demande aux moines où est parti Ananda. Ils lui répondent qu’Ananda se lamente sur la mort prochaine du Bouddha. Alors le Bouddha demande aux moines « Allez dire à Ananda, mon bon ami, de venir me voir ». Ananda viens alors saluer le Bouddha qui lui parle ainsi :

« Cela suffit Ananda ! Ne te lamente pas ! Ne t’ai-je pas déjà enseigné que toutes les choses qui sont plaisantes et délectables sont changeantes, sujettes à la séparation et à la transformation ? Donc tout ce qui est né, Ananda, tout ce qui est composé, est sujet à la décadence. Comment se pourrait-il que cela ne meure pas ? Cela fait longtemps, Ananda, que tu es à mes côtés, faisant preuve de bonté bienveillante dans tes actes, tes paroles et tes pensées, avec dévotion et de tout ton cœur. Ananda, tu as réalisé beaucoup de mérites. Fais un effort et, sous peu, tu seras libéré de toutes les pollutions. »

Le Bouddha dit à son proche disciple qu’il n’y a pas de raison de pleurer la mort du Tathâgata. La nature de tout ce qui est conditionné est de disparaître — comment pourrait-il en être autrement ? Le Bouddha prédit à Ananda qu’il atteindra l’Eveil complet rapidement s’il maintient un effort constant.

Subhadda, un ascète d’une autre secte, vient voir le Bouddha pour l’interroger mais Ananda le repousse plusieurs fois car le Bouddha est très fatigué et se repose. Le Bouddha dans sa grande compassion, et malgré la mort qui approche, voyant la sincérité de l’homme, accepte de lui donner un enseignement. Subhadda demande au Bouddha si tel enseignant est éveillé ou si tel autre religieux est éveillé ou si telle personne est un saint. Le Bouddha lui répond :

« Ne te préoccupe pas des autres. Je vais t’enseigner le Dhamma »

« Dans n’importe quel enseignement ou discipline, si on n’y trouve point le Noble Octuple Sentier, alors aucun ascète n’est trouvé. Pas d’ascète qui soit ‘Entré dans le courant’, pas d’ascète qui ‘ne revienne qu’une seule fois’, pas d’ascète ‘qui ne revienne plus’ et pas d’ascète qui soit un Arahant. Par contre, là où est enseigné le Noble Octuple Sentier, tu trouveras l’un de ces quatre types d’ascètes. »

« Si des moines vivent une vie pure et si des moines pratiquent le Noble Octuple Sentier, le monde ne manquera pas d’Etres éveillés »

Pour savoir s’il est possible d’atteindre l’Eveil, de rencontrer des êtres éveillés ou des êtres sur le chemin de l’Eveil, à notre époque, il nous suffit de regarder comment les autres pratiquent le Noble Octuple Sentier et comment nous le pratiquons nous-mêmes. C’est la pratique qui mène à l’Eveil et, si elle est maintenue, d’autres êtres et vous-mêmes parviendrez à l’Eveil.

Ananda demande au Bouddha d’autres instructions :

« Cela suffit, Ananda ! Je t’ai enseigné le Dhamma. La discipline et le Dhamma seront ton maître après ma mort. »

Pour nous bouddhistes, quoi qu’il arrive et bien que le Bouddha soit parti, le Dhamma est notre guide, notre refuge, notre maître.

Le Bouddha, allongé sur le côté droit, fait ensuite sa dernière déclaration :

« Maintenant, moines, je vous le déclare, toutes les choses conditionnées sont de nature à disparaître. Persévérez avec sincérité. »

Ce furent les dernières paroles du Tathâgata.

« Et le Bouddha entra dans le premier jhāna, puis il entra dans le second jhāna, puis il entra dans le troisième jhāna, puis il entra dans le quatrième jhāna, puis il entra dans la sphère de l'espace infini, puis il entra dans la sphère de la conscience infinie, puis il entra dans la sphère de la vacuité, puis il entra dans la sphère de ni-perception-ni-non-perception, puis il atteint la cessation de la perception et de la sensation.

Et le Vénérable Ananda s'adressa au Vénérable Anuruddha, en disant : "Vénérable Anuruddha, le Bouddha est décédé. Non, ami Ananda, le Bouddha n'a pas disparu. Il est entré dans l'état de la cessation de la perception et de la sensation. »

Le Vénérable Anuruddha, l’un des principaux disciples du Bouddha, qui était capable de connaître les états psychiques des autres personnes, suivait ainsi les différents états par lesquels passait le Bouddha. Dans l’état de la cessation de la perception et de la sensation, le Bouddha donnait l’impression d’être mort car, dans cet état, la respiration est quasiment imperceptible.

« Alors le Bouddha, sortant de la cessation de la perception et de la sensation, entra dans la sphère de ni-perception-ni-non-perception, puis il entra dans la sphère de la vacuité, puis il entra dans la sphère de la conscience infinie, puis il entra dans la sphère de l'espace infini. En sortant de la sphère de l'espace infini, il entra dans le quatrième jhāna, puis il entra dans le troisième jhāna, puis il entra dans le second jhāna, puis il entra dans le premier jhāna. En sortant du premier jhāna, il entra dans le second jhāna, puis il entra dans le troisième jhāna, puis il entra dans le quatrième jhāna. Et, en sortant du quatrième jhāna, le Bouddha immédiatement trépassa. »

Et il est dit que Juste après la mort du Bouddha se produisit un terrible tremblement de terre. Certains moines qui se trouvaient là se sentirent mal certains pleuraient d’autres se lamentaient :

« Il est bien trop tôt pour que le Bouddha soit parti, il est bien trop tôt pour que le Béni du ciel soit parti, il est bien trop tôt pour que l’Œil du monde ait disparu. »

« Mais les moines qui étaient libres de l’attachement acceptèrent avec pleine conscience : ‘Tous les composés sont impermanents. Quelle est l’utilité de tout cela ? Les pleurs sont inutiles.’ »

« Alors le Vénérable Anuruddha s'adressa aux moines : ‘Mes amis, cessez vos lamentations. Le Bouddha ne vous a-t-il pas enseigné que tout ce qui est plaisant et délectable est sujet à la séparation et au changement ? Pourquoi tout ceci mes amis ? Tout ce qui est né, tout ce qui est composé, est sujet au déclin. Il ne peut en être autrement. »

Voici donc la description des derniers jours et des derniers moments du Bouddha. C’est l’occasion pour nous de réfléchir à la vérité de ces enseignements : tout ce qui est « composé » est impermanent et sujet au changement.

Ce jour du souvenir de la naissance, de l’Eveil et de la mort du Bouddha est l’occasion de nous rappeler l’Eveillé avec gratitude et compassion – nous avons la chance d’entendre ses enseignements et de pouvoir les appliquer dans notre vie.

Je vous souhaite à tous de connaître le bonheur et la prospérité. J’espère que vous ferez l’expérience de la noble vertu, de la noble concentration, de la noble sagesse et de la noble Libération. Aidez les autres et offrez-leur compassion et gentillesse. Quant à moi, je vous offre ma bénédiction pour l’avenir.

Source : Traduction de Luc Guillard disponible sur dhammadelaforet.org