Sangha de la forêt
Tradition bouddhiste Theravada d'Ajahn Chah


Ajahn Sundara

Ajahn Sundara naquit et grandit en France dans une famille ouverte d'esprit et non particulièrement religieuse. Après avoir étudié la danse, elle travailla et enseigna pendant quelques années dans ce domaine. Puis, au début de la trentaine, elle fit la rencontre du Dhamma au travers des enseignements d’Ajahn Sumedho lors d'une retraite de dix jours en Angleterre. Son intérêt pour les enseignements bouddhistes grandit alors et, en 1979, elle rejoignit la communauté monastique du monastère de Chithurst où elle fut ordonnée parmis les quatre premières femmes novices.

En 1983, elle reçut l’ordination sīladhāra (nonne de dix préceptes) par Ajahn Sumedho. Depuis lors, elle a participé à la création de la communauté des moniales et, au cours des vingt dernières années, a enseigné et dirigé des retraites de méditation en Europe et en Amérique du Nord.

Depuis 2011, elle vit au monastère bouddhiste Amaravati.

Extrait de : Amis sur le chemin par Ajahn Sundara et Ajahn Candasiri.













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Les bienfaits de la simplicité

Le temps que j'ai passé en Thaïlande à pratiquer la méditation de manière intensive a été une excellente expérience d'apprentissage. Pendant près de deux ans et demi, cela m'a donné l'opportunité de baigner dans une culture incroyablement différente de la nôtre par sa conception de la vie et m'a donné d'être dans un environnement qui m'a fait comprendre à quel point mon esprit était conditionné par les valeurs occidentales, les théories, les préjugés et la suffisance.

Dans un premier temps, de nombreux aspects de cette culture m'étaient totalement étrangers. Il y avait tant de choses que je trouvais impossibles à comprendre. Mais lorsque vint le moment de partir, je m'y sentais comme à la maison. J'aimerais donc partager avec vous quelques aspects de cette période passée dans ce merveilleux pays.

Dans la zone rurale où se trouve le monastère, les gens sont, pour la plupart, des paysans, des gens simples menant une vie simple. Contrairement à nous, ils ne s'encombrent pas de problèmes psychologiques ou de dilemmes existentiels. Leur vie tourne autour de la satisfaction des besoins immédiats comme la nourriture, le logement, les nécessités de la vie quotidienne et les plaisirs simples de la vie. Les Thaïlandais savent rire et s'amuser.

Lorsque je rencontrai pour la première fois mon maître, Ajahn Anan, il me demanda comment allait ma pratique. Je lui répondis qu'une des raisons qui m'amenaient en Thaïlande était d'avoir l'opportunité de la développer. Puis il me demanda si je ressentais certaines difficultés ; et je lui expliquai quelle était ma façon de pratiquer et comment je me sentais à ce moment-là.

Ce fut assez extraordinaire : pendant que je parlais, je sentis comme si j'avais, en face de moi, un grand miroir dans lequel je vis ce « moi » fonctionnant sur son mode habituel de justifications savantes soudain se transformer en un gros nuage de bavardages oiseux. Ce fut une prise de conscience merveilleuse. Avec n'importe qui d'autre, j'aurais pu me sentir offensée ou croire que je n'étais pas prise au sérieux, mais avec lui – peut-être parce qu'il était pleinement lui-même et profondément naturel – ce fut un énorme sentiment de soulagement.

La manière dont les Thaïlandais approchent l'enseignement et se considèrent eux-mêmes est profondément influencée par le bouddhisme et par la psychologie bouddhiste. Même leur langage de tous les jours est parsemé de nombreux mots palis. Je me rappelle combien leur façon de parler du cœur/esprit (citta) peut nous paraître froide et insensible. Si vous traversez de grandes souffrances, des angoisses ou revivez des souvenirs douloureux, le maître peut simplement dire : « Bon, ce ne sont que des kilesa, des états mentaux négatifs », ou bien « Votre cœur n'est pas heureux ? ».

Curieusement, dans ce contexte, de telles réflexions pouvaient complètement désamorcer les habitudes de penser telles que : « C'est moi qui ai un grave problème qu'il est urgent de résoudre ! ». Et il y avait toujours ce miroir puissant et plein de compassion. Si quelqu'un d'autre avait réduit mon « problème » à un simple sentiment d'insatisfaction, j'aurais sûrement été fâchée et me serais sentie rejetée ; mais avec Ajahn Anan, en qui j'avais une totale confiance, j'ai été en mesure de voir comment mon esprit fonctionnait et, quand il y avait de la confusion, de la dissiper. J'étais ramenée au moment présent par ces questions : « Que se passe-t-il maintenant ? Votre cœur est-il malheureux ? »

Bien sûr, dans le moment présent, il ne se passait pas grand-chose parce que le monastère, situé dans une belle forêt à flanc de montagne, était très paisible. C'était un endroit simple, calme et retiré, où il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire que de recevoir les offrandes de nourriture, manger et balayer son allée pendant environ une demi-heure. C'était tout. Le reste du temps était dédié au développement de la pratique formelle. Mon esprit s'apaisa beaucoup.

De telles expériences m'ont donné le goût pour la vie simple et pour un état d’esprit « normal », c’est-à-dire qui ne crée pas de problème à partir de ce qui est. Je ne dis pas que cette méthode, apparemment simple et directe, d'appréhender l'esprit est la bonne ou pas, mais je trouve que pratiquer dans cet environnement et dans cette culture pendant plus de deux années a eu un effet puissant. Cela m'a aidé à rompre avec cette habitude de me percevoir comme une identité individuelle – ce qui fut très libérateur. Avec l'esprit apaisé, j'ai pu voir très clairement la sensation de « soi », à chaque fois qu'elle se manifestait.

L'enseignement insiste sur le fait que, si l'on souffre de cette sensation de « soi », on ne peut pas avancer très loin dans la pratique, la vision intérieure ne peut se développer de manière suffisamment profonde pour venir couper l'attachement. La culture thaïe, dans son ensemble, facilite cette approche. Si l'on pense trop, les gens considèrent que l'on est sur le chemin de la folie. Vous pouvez vérifier auprès de n'importe quel Thaïlandais : quand quelqu'un pense trop, ils disent qu'il (ou elle) a le cœur chaud – et si vous êtes « chaud » (« ron » en thaï), on vous considèrera comme un insensé. Dire de quelqu'un qu'il est « djaï ron » (le cœur chaud) est négatif, voire même insultant. Les gens, là-bas, ne mettent pas l'accent sur la réflexion – je ne suis pas en train de dire que c'est bien ou mal, mais ils ne se fient pas trop à l'intellectualisation. C'était très différent de la culture d'où je venais où la réflexion est mise en avant, où des tombereaux de livres sont rédigés et où les gens comptent beaucoup sur l'intelligence. J'ai trouvé très intéressant d'être baignée dans une autre culture, plus intuitive, plus féminine.

Ce qui m'a le plus frappée, quand je suis revenue en Europe, c’est la complexité du mode de vie occidental et j'ai pu constater comment l'accès à de nombreuses traditions spirituelles et à de nombreux maîtres a transformé notre société, sur le plan de la spiritualité, en un immense supermarché. Ce n'est pas tout à fait négatif, mais c’est très perturbant pour un esprit déjà très sollicité par tout ce qu'il reçoit à travers les organes des sens. Il n'est pas étonnant que les gens deviennent névrosés après avoir été exposés à tant d'informations et tant de choix !

Quand vous êtes dans la forêt, il y a seulement quelques oiseaux, quelques bestioles et la nature tout autour. Les jours naissent, s'écoulent et le soleil se couche sans que rien d'autre ne se produise, et vous vous habituez à ce rythme très simple et paisible. J'ai trouvé cette vie extrêmement plaisante et je savais qu'elle était propice au développement de la pratique. En fait, je me sentais très à l'aise et vraiment privilégiée de pouvoir bénéficier de cette opportunité. La culture, à dominante bouddhiste, rendait les choses simples ; ce n'est pas un environnement dans lequel on se sent stimulé intellectuellement et il est vraiment étonnant de voir l'effet que cela produit sur l'esprit. Celui-ci ralentit naturellement pour devenir tout à fait tranquille. J'étais, du coup, effrayée de devoir retourner en Occident et, chaque fois que j'évoquais ce retour, mon esprit se représentait l'image d'une noyade au milieu d'un immense océan de pensées – vraiment pas un signe de bon augure !

Même si j'ai dû m'adapter et suivre l'étiquette des mae-chee, « la chorégraphie des nonnes thaïlandaises » comme j'avais coutume de désigner cela – marcher tout au bout de la file pour recevoir la nourriture, même derrière les plus jeunes des moines ; m'accroupir à chaque fois que je devais m'adresser à un moine ... – tout cela était peu de chose en comparaison à ce que j'ai pu recevoir là-bas.

Je n'étais donc pas certaine de pouvoir me faire à la vie et au rythme du monastère d'Amaravati, en Angleterre. Je décidai que, si je devais enseigner, je veillerais à garder les choses simples, ne parler que de la pratique, m'en tenir aux faits : anapanasati, les Cinq Khandha ou l'Interdépendance. Je ne voulais pas embrouiller les gens avec davantage de mots, de concepts et d'idées.

Mais j'ai reçu une vraie leçon de lâcher-prise quand, il y a quelques semaines, je suis allée enseigner à un groupe de méditants. En chemin, j'ai demandé, de manière innocente, au responsable du groupe, comment il envisageait le déroulement de ce week-end. Bien sûr, j'avais quant à moi quelques idées : « Je vais simplement méditer avec eux. Je vais leur indiquer comment pratiquer, bien plus que je ne vais discourir. Ensuite, nous partagerons nos expériences. » Mais le responsable m'a répondu : « Eh bien, nous voudrions vraiment discuter avec vous de la pratique, vous poser des questions et avoir une discussion sur le Dhamma, et puis... » J'ai pensé : « Oh non ! Pas cela ! » J'ai dû alors lâcher prise, tout simplement. Je me suis rappelé l'enseignement du Vénérable Sumedho : « Prenez la vie comme elle est. N'en faites pas un problème. Ouvrez-vous à ce qui est. »

Les Thaïlandais ne semblent pas souffrir de la haine de soi ; ils ne semblent même pas savoir ce que cela peut vouloir dire ! Une fois, par curiosité, j'ai demandé à une femme très instruite qui était venue me rendre visite : « Vous arrive-t-il de ne pas vous aimer ? » Elle me répondit : « Non, jamais. » J'ai été très surprise : elle venait juste de me parler de certains sujets très pénibles de sa vie personnelle et pourtant, elle ne se blâmait pas. Le sentiment négatif de soi ne semble pas faire partie de leur profil psychologique, alors que nous, nous sommes torturés par lui. Cela rend difficile nos débuts dans la pratique parce que la première étape consiste à faire la paix dans son cœur – ce qui ne peut pas se faire si l'on éprouve de la haine pour soi.

Heureusement, Ajahn Sumedho, qui est très au fait de l'esprit des Occidentaux, a conçu un très bon moyen de faire face à cette tendance que nous avons de mettre l'accent sur le côté négatif des choses, d'être critiques : simplement voir et accepter cette tendance dans un espace de paisible tolérance, d'amour et de détente. C’est là une approche pleine de maturité car, pour la plupart d’entre nous, il est difficile de créer un espace autour de notre vécu. Nous avons tendance, au contraire, à nous fondre avec les pensées qui traversent notre esprit et à fabriquer un « moi » à partir de là.

Si, par exemple, nous ressentons de l'ennui ; si nous ne sommes pas vraiment attentifs, nous nous laissons envahir par cette sensation et nous devenons quelqu'un qui s'ennuie, quelqu'un qui a un problème avec l'ennui et qui a besoin de résoudre ce problème. Cette approche complique singulièrement une expérience aussi simple que la sensation d'ennui. Tout ce qu'il est nécessaire de faire est d'aménager un espace intérieur afin de pouvoir contempler cette sensation, au lieu d'en faire un problème. En Thaïlande, où la psychologie et l'enseignement bouddhistes sont étroitement liés, Ajahn Anan dirait tout simplement : « Bon, c'est juste un obstacle. » C'est simple n'est-ce pas ? Mais souvent, pour nous, il ne peut pas s'agir d'une simple sensation d'ennui – c'est sûrement un ennui très particulier et qui nous est tout à fait personnel !

Une des choses qui m'a le plus attirée dans l'enseignement bouddhiste est la simplicité de son approche – c'est, je crois, ce que nous souhaitons tous atteindre dans notre pratique et dans notre vie. Le Bouddha a dit : « Observez-vous, tout simplement. Qui êtes-vous ? Que pensez-vous être ? ... Observez vos yeux, les objets visuels et la façon dont se passe le contact entre les sens et l'objet des sens. Que sont les yeux, le nez, la langue, le corps et les oreilles ? Que sont les pensées ? » Il nous demande d'enquêter sur l'expérience sensorielle, plutôt que de nous laisser entraîner par elle et de réagir à la peine ou au plaisir. Il dit d'observer et de voir la nature de l'expérience, directement, très simplement, sans en faire une histoire. Simplement laisser entrer le calme et la tranquillité dans le cœur et observer.

L'expérience sensorielle est vraiment ce qui forge notre monde. Sans en connaître la cause et ses effets, il est très difficile de sortir du cercle vicieux du « moi », de « mon problème qui doit être résolu », de ce « moi » qui aime ou qui déteste – tous ces tiraillements qui agitent le cœur. Plutôt que de nous laisser balloter par ces tiraillements, nous observons et, sans prendre partie, nous comprenons les choses telles qu'elles sont : impermanentes, insatisfaisantes et dénuées d'un « soi » personnel. Mais parvenir à cela nécessite certaines conditions, cela ne se fait pas tout seul

La première condition est la paix et le calme ; sans cela, il est très difficile de voir quoi que ce soit. C'est pourquoi une grande part de notre pratique consiste à apporter au cœur l'équilibre et le calme. La plupart des gens sont dans un état de constante réactivité. Si vous leur demandez s'ils souffrent, ils vous répondront : « Non ». Ils pensent qu'ils vont bien. Mais quelqu'un qui a vu la souffrance qu'engendre cette réactivité en vient à réaliser que ce n'est pas le meilleur moyen de comprendre la vie ; c'est une vision très limitée – toujours cette même expérience de « soi », du « moi », du « nous ». Mais quand la sensation de l'ego diminue, la réactivité aussi diminue.

Ce n'est pas tant la sensation de soi qui fait obstacle ; c'est notre identification à ce « moi ». Les Quatre Nobles Vérités mettent l'accent sur ce point : la souffrance due à l'attachement au soi, la croyance en un ego permanent. Un maître a comparé l'ego à un collier : lorsque les perles sont maintenues ensemble par un fil, elles constituent un collier ; mais si le fil vient à céder, les voilà qui s'éparpillent – il n’y a plus de collier !

J'ai passé de nombreuses années à observer de près cette sensation d'un « soi ». Je me souviens, dans les premiers temps, Ajahn Sumedho me disait : « Bon, vous ne devriez pas souffrir pour çà. Vous avez pris les Refuges et... » - mais cela me faisait bouillir : « Oui, mais moi ! Je souffre là, maintenant ! » J'avais l'impression qu'il se fichait bien de mon gros problème personnel, qu'il ne me prenait pas au sérieux. Pendant tant d'années, je m’étais attachée à cet ego sans vraiment le connaître. Je ne pensais pas être dans l’erreur, non, je me prenais simplement au sérieux.

En Thaïlande, si vous souffrez et que vous parlez de cette souffrance, vous avez rapidement l'impression que votre pratique va à vau-l'eau. Ceci est dû au fait que, dans l'environnement paisible et simple d'un monastère de forêt, la pratique formelle est fortement enracinée dans le développement de la concentration, samādhi. L'approche est différente, là-bas.

Au monastère d'Amaravati, la base de notre pratique est les Quatre Nobles Vérités, qui mettent l'accent sur la souffrance, l'origine de celle-ci, sa cessation et le chemin qui y mène. Il n'est pas aussi facile, ici, d'atteindre les états de calme profond de l'esprit parce que nous sommes en permanence bombardés par des contacts sensoriels : des objets, le travail, le fait de vivre au milieu d'esprits forts ... Ajahn Sumedho enseigne que, pour libérer l'esprit, il suffit de mettre cet enseignement en pratique et de s'y tenir jusqu'à la mort.

J'ai été frappée de voir combien le tempérament de la population thaïlandaise était doux et agréable comparé au nôtre ; je trouve que ce sont des gens avec qui il est facile de vivre. Ils aiment beaucoup rire, et ils ne considèrent pas la vie comme un problème. Ils vous trouvent bien stupides de voir la vie ainsi. Même les plus simples des villageois penseront que vous êtes bien insensés de faire de la vie un problème. Cela fait une grande différence avec notre tendance à tout compliquer et créer des problèmes là où il n'y en a pas – très souvent, parce que nous n'avons pas appris à réagir différemment. Toute notre culture est basée sur l'idée que le monde doit être compris à partir d'un système de pensée, plutôt que par la connaissance née d'un esprit éveillé silencieux.

Pour que notre pratique porte ses fruits, il est important de ne pas trop nous soucier de nous-mêmes. Tant que nous serons fascinés par notre ego, nous ressentirons la souffrance. Quand l'esprit est miné par un flot de pensées égotiques telles que : « Je ne m'aime pas », « je pense que j'ai un gros problème », etc., c'est comme s'il ingérait des aliments nocifs, des états mentaux négatifs (akusala dhamma).

La compréhension du Dhamma dépend aussi de la force de notre esprit car, comment cette compréhension peut-elle se produire s'il n'y a pas un certain niveau d'énergie positive ? C'est pourquoi mettā (la bienveillance et l'acceptation) est très important. On ne peut rendre lumineux l'esprit en le remplissant d'états mentaux négatifs ; bien au contraire, cela l'affaiblit. Que ce soit la colère, l'avidité, la jalousie ou le désespoir, si la véritable nature de ces états mentaux n'est pas comprise, ceux-ci affaibliront citta, le cœur. Mais, lorsque nous les observons à la lumière de l'attention, ils n'ont plus aucun pouvoir sur nous. Durant la méditation, essayez d'emplir votre cœur avec mettā d'abord, puis avec des lamentations et enfin, avec de la joie – vous verrez la différence, c'est très simple. Vous pouvez faire de même avec la colère : pensez, durant un moment, à des choses qui vous mettent en colère, puis voyez l'effet que cela produit au niveau de votre cœur. Ce ne sont là que des états mentaux conditionnés mais, bien souvent, nous ne sommes pas attentifs à la manière dont ils peuvent nous affecter ; cela, à cause de l'ignorance.

Voir très clairement la différence entre ce qui est bénéfique et ce qui est malsain, non pas d'un point de vue intellectuel, mais avec les yeux de la sagesse, est un progrès certain. Les enseignements du Bouddha sont comme un plan qui nous aide à distinguer les dhamma bénéfiques des dhamma malsains que nous devons savoir reconnaître et laisser aller.

Souvenez-vous que votre cœur est comme un récipient rempli de choses qui viennent du passé. Si nous avons été, dans le passé, un voleur, un paresseux ou un arrogant, ou bien un être aimant et généreux, nous aurons conservé certaines de ces habitudes. Quand nous méditons, nous recevons les conséquences de nos habitudes – nous ne pouvons pas nous en débarrasser aussi facilement. Ce serait pourtant merveilleux, si nous pouvions le faire : nous serions tous des Eveillés depuis longtemps ! Savoir composer avec son kamma, patiemment et avec compassion, est très important.

Une chose est devenue claire grâce à mon expérience en Thaïlande : si la pratique est quelque chose qui se passe ici et maintenant, c'est aussi un processus progressif, comme le développement d'un savoir-faire. Elle nécessite de la concentration, de l'attention et de l'effort. Ce sont là les outils indispensables pour mieux comprendre nos attachements et les laisser aller. Nous sommes tous ici pour libérer notre cœur de l'ignorance, pour apprendre comment vivre libres du remords ou de la confusion. Pour que les fruits de la pratique puissent croître dans notre cœur, nous devons développer ces qualités de l'esprit.

Ici, en Occident, nous faisons grand cas de notre corps et nous lui en demandons beaucoup. Il doit être sain, fort, et en bonne santé, tandis que dans les pays d'Asie, on en fait moins cas. Le corps est important, bien sûr, car sans lui nous ne serions pas en capacité de méditer. Mais s'il se met à craquer ou s'il se dégrade, il n'y a pas là matière à perturber l'esprit. Des méditants qui parlent trop de leur corps ou ont tendance à trop dormir sont considérés comme de bien piètres pratiquants ! Dans la perspective bouddhiste, l'esprit est plus important car c'est lui qui conditionne ce qui advient au moment où nous mourrons. Quand l'esprit est fort et sain, le corps s'apaise naturellement et retire bien plus de bienfaits que lorsque nous nous laissons accabler par des inquiétudes quant à notre bien-être. Cette façon de voir m'a donné une vision plus objective de ce qu'est le corps physique, un plus grand détachement et la capacité de le considérer avec plus de distance. Il est facile, pour l’esprit, de s’attarder sur ce qui ne va pas chez nous ou chez les autres ; c'est la façon la plus simple de regarder la vie. La chose la plus difficile est d'entraîner le cœur à suivre le chemin de la bonté, kusala dhamma (les dhamma bénéfiques).

Nous pouvons nous sentir déprimés, mais nous devons comprendre que c'est un état mental, un moment passager ; voulons-nous faire perdurer cet état mental toute notre vie ? Ou vaut-il mieux, grâce à la sagesse, voir qu'il ne s'agit là que d'un moment passager, une sensation, une pensée ? Une telle compréhension entraîne un réel sentiment d'urgence. Si nous devons éprouver des sensations, ou bien avoir des pensées – chose que nous ne pouvons pas éviter –, mieux vaut alors guider notre esprit vers des pensées qui soient bénéfiques. Tout le reste nous entraîne vers l'enfer ... en fait, nous agissons bien souvent de la sorte sans même le savoir.

Nous avons donc le choix: soit nous demeurons alternativement en enfer dans le monde de la souffrance et au paradis dans le monde de la félicité, soit nous demeurons dans un état de paix, fruit de la sagesse qui consiste à voir clairement que l’impression d’être au paradis est liée aux sensations agréables et l’impression d’être en enfer est liée aux sensations désagréables. Dès que nous comprenons cela, nous sommes libérés, n’est-ce pas ? L’esprit cesse de se préoccuper des sensations – c'est la voie du milieu. Nous ne pouvons pas contrôler la vie et il faut du temps pour dépasser notre désir pour le paradis et notre peur de l'enfer.

Souvent, la seule façon dont les gens marchent ou ouvrent une porte, leur manière de parler, de manger, peuvent nous envoyer en enfer ou au paradis. Il n'en faut pas davantage. N'est-ce pas ridicule ? Parfois, nous pouvons connaître une parfaite félicité et nous sentir en harmonie avec tout l'univers, puis, en rentrant chez nous, il suffit qu'une personne fasse un peu de bruit pour que nous sentions monter la colère. Voyez qu'il suffit de peu de chose. La vie est très instable. Pourtant, il y a la connaissance, ce moment de liberté quand vous comprenez : « Ce n'est qu'une sensation, un contact des sens, de l'oreille, du nez ... »

L'enseignement du Bouddha, souvenez-vous, est d'observer le contact des sens, son objet et l'effet de ce contact sur le cœur. Quand nous entendons nos voisins faire beaucoup de bruit, nous pensons : « C'est intolérable. Je vais aller leur dire deux mots ! » Mais si nous sommes capables de lâcher prise, nous pouvons constater que ce bruit ne nous dérange pas vraiment … mais le bruit recommence, et finalement, nous nous retrouvons à frapper à la porte : « Pouvez-vous arrêter ce bruit ? » Et bien sûr, si à ce moment, il n'y a pas de sagesse, pas d’attention, nous ressentirons du remords par la suite : « J'ai été odieux... je n'aurais pas dû faire çà ... », et le cycle complet de la souffrance recommence.

La voie tracée par le Bouddha est très simple. Nous devons nous rappeler encore et encore de maintenir sati, l'attention. C'est comme une ritournelle sans fin : sati, sati, sati. Où en sommes-nous maintenant ? ... La pratique de l'attention se situe toujours dans le moment présent. Il n'y a pas de connaissance dans l'avenir ou le passé. Nous pouvons avoir une pensée qui nous tourne vers le passé ou vers le futur mais, dans le moment présent, il n'y a que la connaissance, la présence consciente.

Nous pouvons nous rappeler que nous sommes ici pour entraîner et maintenir une pratique simple. Savoir ce qui nourrit le cœur : la vérité, la paix, le calme, la compassion, mettā. Quand nous ressentons mettā, l'ego, le « soi » peut se dissoudre. Voyez comment, lorsque des gens ressentent mettā à notre égard, la paix croît en nous. Quand des gens éprouvent de l'amour bienveillant pour nous, nous nous sentons calmes et en paix. Nous pouvons faire cela pour nous-mêmes et, si chacun de nous fait cela pour une autre personne, ce sera une bonne base pour la pratique.

Avant de vous quitter, je voudrais vous dire ceci : il faut garder les choses très simples et nous rappeler qu'il ne faut pas faire confiance à ce qui complique la vie. Cela ressemble davantage au travail de notre ami Mara, le soi, l'ego. Quand le cœur est en paix et qu'il y a compréhension, les choses sont simples et paisibles. Je vous souhaite de cultiver la bienveillance et une patience infinie envers vous-mêmes et envers toutes les conséquences des kamma que vous devez traverser et qui peuvent vous perturber en ce moment. C'est pourquoi le Bouddha a enseigné que la patience et la persévérance sont les plus grandes vertus à développer.

Source : Traduction de Hervé Panchaud diponible sur dhammadelaforet.org

Même le Bouddha fut confronté à des épreuves

Vous pensez sans doute qu’après son Éveil, le Bouddha eut une vie facile, n’est-ce pas ? N’avons-nous pas tous l’espoir qu’après un « petit éveil », la vie pourrait devenir plus simple ?

Je pense que je me dois de vous dire la vérité ainsi vos attentes ne seront pas déçues. En 45 années d’enseignement à la tête de la communauté monastique, le Bouddha a rencontré un nombre incroyable de difficultés. Bien que parfaitement éveillé, il subissait encore l’influence de ses karmas passés.

Des ascètes venaient le rencontrer pour le critiquer, l’accusant d’avoir des vues erronées et un enseignement incorrect ; et tout au long de sa vie, ses disciples lui causèrent de nombreux problèmes. Certains défiaient le Bouddha, encourageant l'extrême indulgence des sens, alors que d’autres voulaient resserrer davantage la discipline en imposant le végétarisme, par exemple. Son cousin Devadatta essaya de le tuer à de nombreuses reprises ; il envoya un éléphant fou pour le piétiner et tenta de créer un schisme dans le Sangha. Finalement, quelques ascètes, jaloux du Bouddha, trouvèrent une femme qui l’accusa d’être le père de son prétendu enfant. Donc, nous ne sommes pas si mal lotis après tout !

Après quelques jours de méditation, nous réalisons que le but de la pratique n’est pas de fuir les inévitables aléas relatifs à une existence humaine ou d’éviter les obstacles de la vie mais plutôt de comprendre l’esprit afin de le libérer de l’ignorance. Celui-ci est une grande force intérieure qui, si elle est incomprise, peut facilement nous mener en enfer. Le pouvoir de notre volonté, de notre colère, de notre entêtement et de notre esprit critique – avez-vous déjà remarqué à quel point il est fort ? N’ayant aucun contrôle sur notre mal-être, nous remplissons donc notre esprit avec des tas de choses afin de nous distraire ; pourtant cette sensation est encore là, n’est-ce pas ? Nous ne pouvons contrôler notre esprit de la sorte indéfiniment.

L’une des plus importantes contributions du Bouddha à notre compréhension de l’esprit, est l’enseignement de la cause de la souffrance. La plupart d’entre nous cherchons encore les causes de la souffrance à l’extérieur de nous-mêmes. Bien qu’il y ait de nombreux éléments extérieurs qui puissent déclencher notre agitation, notre manque de contentement, etc., le Bouddha nous enseigne que la véritable cause de la souffrance est tanha : le désir.

Sans l’attention, notre esprit se perd très souvent dans un état d’attachement, même envers les choses les plus insignifiantes, telles que notre coussin de méditation ou notre place dans la file pour le repas. Ce genre de petites choses est la cause de plus grandes souffrances. Il suffit que, de bon matin, quelqu'un déclenche en nous une légère irritation et le ton est donné pour le reste de la journée. En général, nous n’avons aucune idée de ce que nous ressentons. Avez-vous remarqué que, souvent, les gens les plus en colère n’en sont même pas conscients ? Je mis beaucoup de temps à reconnaître sincèrement que dans certaines situations ou en compagnie de certaines personnes, j’étais constamment exaspérée. Lorsque je commençai à remarquer ce processus de façon claire et profonde, ce fut un grand soulagement.

La plupart d’entre nous sommes en quête du bonheur sans même avoir conscience que nous ne sommes pas heureux. Pourtant, avant de pouvoir être heureux, la première étape est de réaliser qu’il y a dukkha, qu’il y a souffrance. C’est un peu effrayant, pour certaines personnes, d’arriver à y faire face. Ils pensent : « Si je découvre que je ne suis pas heureux, je vais vouloir fuir, je vais devoir quitter mon conjoint, ma maison, mon travail. » Ils croient qu’en se retirant d’une situation douloureuse, ils peuvent échapper à leurs problèmes. Mais ce n’est pas le chemin qui mène à la fin de la souffrance. Le Bouddha a dit que, même si vous partez vous cacher seul à l’autre bout du monde, vous emportez toujours votre esprit avec vous !

La vie monastique est une merveilleuse école pour apprendre rapidement ce qu’est dukkha car tous les jours, vous faites l’expérience de cette vérité avec très peu de distractions. Au sein d’une communauté monastique, vous vous retrouvez dans des situations où vous avez peu de contrôle, avec des personnes que vous n’avez pas choisies. Ce genre d’environnement vous pousse dans vos derniers retranchements. La seule chose qui nous sauve est notre refuge dans l’attention au présent. Lorsque nous sommes attentifs, nous maîtrisons les énergies de notre esprit, nous cultivons la retenue. En d’autres mots, nous n’éclaboussons pas les autres personnes avec les proliférations de notre esprit !

Je me souviens du temps, au monastère de Chithurst, où je cuisinais pour un moine senior qui, depuis plusieurs années, était très malade. J’avais offert de m’occuper de son alimentation car j’avais des connaissances en nourriture macrobiotique avant d’être nonne.

Un jour, tout m’irritait. Je cuisinais son repas et je pensai : « Les mauvaises vibrations de ma colère dans la nourriture ne vont aider personne, n’est ce pas ? » Donc, j’allai voir mon enseignant et lui dis : « Je pense que je vais devoir arrêter de cuisiner. Je suis si en colère parfois, que je crois que je suis en train de l’empoisonner. » Sa réponse fut : « Eh bien, si vous demeurez attentive à votre colère, vous ne l’empoisonnez pas. Votre colère ne contamine pas la nourriture car vous la contenez en vous. »

En une autre occasion, alors que je devais donner un enseignement à 45 personnes, mon cœur s’emballa et la seule chose que je voulais faire était de sortir de la pièce pour libérer cette adrénaline. Mais comme je patientais en silence, ayant conscience que cette situation allait changer, je commençai à parler. C’est vraiment incroyable ! Bien que j’étais prise d’une panique totale, la nonne qui se trouvait à côté de moi me dit à quel point je paraissais calme et en paix lorsque j’enseignais !

Donc, lorsque vous irez au bureau demain, et que vous ne pourrez pas supporter votre patron ou que vous serez au bout du rouleau, demeurez simplement attentifs à cette sensation, et votre patron ne le remarquera sûrement pas.

L’attention nous protège véritablement et vous saurez, en la cultivant, que vous n’avez pas besoin de réprimer ou d’attendre d’exploser pour vous exprimer. Voyez comment ça marche, que ce soit avec votre conjoint, votre ami, ou votre chien. Souvenez-vous simplement, chaque matin, de ce qui est réellement important dans votre vie. En Occident, tant d’opportunités s’offrent à nous ; nous sommes vraiment gâtés. Même dans les meilleurs centres de retraite, les gens se plaignent de la nourriture, de ceci, de cela. Reconnaîtrions-nous le paradis si nous l’avions juste en face de nous ? C’est tellement facile, pour nous, de tomber dans la négativité. Souvent, il semble même que cela nous apporte beaucoup d’énergie.

À la place, pourrions-nous apprendre à cultiver quelque chose de plus nourrissant que la frustration et le mécontentement ? Les scientifiques disent que nous n’utilisons que 10 % de notre potentiel mental et même cette infime partie est mal exploitée et canalisée dans des choses telles que le doute, l’inquiétude, la peur, l’avidité, l’envie, etc.

L’Occident a peu d’exemples qui nous inspirent la sagesse et la compassion. Nos héros modernes ne sont pas particulièrement pacifiques ni empreints de sagesse. Dans cette société matérialiste, nous nous sentons souvent comme des orphelins spirituels, privés des conseils de sages emplis de compassion. Heureusement, l’enseignement bouddhiste nous ramène toujours vers notre maître intérieur. Ici et maintenant, nous pouvons écouter et nourrir la sagesse qui est en nous, au lieu de nous tourmenter en nous dévalorisant. C’est important de voir que les problèmes qui surgissent dans la vie peuvent être des opportunités d’éveil, de transformation.

Même si nous nous attachons au bien comme à une fin en soi, cela créera de la souffrance. Vouloir ‘ne pas être en colère’ ou vouloir ‘devenir meilleur’ est dukkha. Le Bouddha a dit qu’il n’y a qu’un seul attachement sain : le désir de libération. Ainsi, avec l’attention pour refuge, cultivez en vous-mêmes l’intention de libérer votre cœur de dukkha, d’abandonner toutes ces choses qui empêchent votre cœur de se libérer de l’ignorance.

Une fois que nous avons goûté à la vie sans le fardeau du désir et de l’attachement, tout devient beaucoup plus simple. Nous demeurons avec cette force dans notre propre cœur : la force de la patience, de l’attention, de l’amour bienveillant et de la paix.

Source : Traduction de l’anglais par Romain Robert et Valérie Melsion disponible sur dhammadelaforet.org

Liberté et discipline

Lorsque le Bouddha enseigna la première Noble Vérité, il dit que prendre refuge dans l’existence humaine est une expérience insatisfaisante. Si l’on s’attache à ce corps voué à la mort, on est sûr de souffrir. Ne pas avoir ce que l’on veut apporte la souffrance – il est assez facile de s’en rendre compte. Avoir ce que l’on ne veut pas peut aussi être source de souffrance. Mais en cheminant plus loin sur les traces du Bouddha, on réalise que même le fait d’avoir ce que l’on désire apporte la souffrance ! C’est le début du chemin qui mène à l’Éveil.

Quand nous réalisons que le fait d’avoir ce que l’on veut dans le monde matériel est également insatisfaisant, nous commençons à devenir plus matures. Dorénavant, nous ne sommes plus des enfants, espérant trouver le bonheur en assouvissant tous nos désirs ou en fuyant la douleur.

Nous vivons dans une société qui vénère la gratification des désirs. Mais la plupart d’entre nous ne sommes pas vraiment intéressés par cette simple gratification, car nous savons intuitivement que ce n'est pas le but de l’existence humaine.

Je me souviens que, plusieurs années auparavant, j’essayais de comprendre ce que je pensais être la vérité, mais sans avoir aucune notion sur le sujet. Je savais, dans un sens, que c’était quelque chose au-delà de mes pensées et de mes émotions, quelque chose qui transcendait ce monde de naissance et de mort.

Au fur et à mesure que le temps passait, le désir de vivre une vie fondée sur la vérité et la réalité devenait la chose la plus importante. Comme j’essayais d’harmoniser mes pensées, mes sentiments et mes aspirations afin d’arriver à être en paix, je devins consciente qu’il y avait quelque chose entre mon esprit et mes aspirations. Il semblait qu’il y avait un énorme abîme entre eux et c’est cela que j’appelais « le moi », l’ego, ce corps avec ces cinq sens. À ce moment-là, je n’avais même pas réalisé que l’enseignement bouddhiste présentait les êtres humains avec un sixième sens : l’esprit, la base sur laquelle les pensées apparaissent.

L’esprit et le corps sont une réserve d’énergie. Je me rendais compte que, selon la façon dont je les utilisais, mon énergie fluctuait. Ma façon de ressentir et de comprendre la vie semblait être aussi dépendante de la clarté de mon esprit et, à son tour, cette clarté était très conditionnée par le degré d’énergie disponible. J’avais hâte de découvrir comment vivre sans gaspiller cette énergie inutilement.

La plupart d’entre nous n’avons pas été élevés selon un mode de vie très axé sur la discipline. Dans ma famille, je fus élevée dans une atmosphère qui favorisait une certaine liberté d’expression. Mais suivre ses caprices et ses envies, faire ce que l’on veut quand on veut, n’apporte pas, à vrai dire, beaucoup de sagesse à notre vie ni beaucoup de compassion ou de sensibilité. En réalité, cela nous rend plutôt égoïstes. Malgré le fait que mes parents ne m’aient pas inculqué un sens profond de la discipline, j’appréciais, dans ma jeunesse, la beauté d’être en vie, son harmonie et l’importance de ne pas la gâcher. Cependant, l’idée de vivre avec retenue et discipline était étrangère à mon conditionnement.

Quand je découvris la méditation et la pratique de Vipassana en particulier, cela me parut une introduction bien plus facile à la discipline que de suivre des préceptes moraux ou des commandements. Nous avons souvent tendance à regarder de manière alarmante tout ce qui pourrait nous contraindre et toute convention qui pourrait limiter notre liberté. La plupart d’entre nous arrivons donc à la discipline à travers la méditation. En regardant sincèrement la façon dont nous nous relions au monde des sens, nous finissons par voir comment tout est interconnecté. Le corps et l’esprit s’influencent constamment l’un l’autre.

Nous connaissons bien le plaisir inhérent à la gratification de nos sens, quand nous écoutons de la musique inspirante ou que nous regardons un beau paysage, par exemple. Mais remarquez comment, dès que nous nous attachons à l’expérience, le plaisir est gâché. C’est un sentiment qui peut être très douloureux et, bien souvent, le monde sensoriel nous mène à la confusion. Mais, avec l’attention, nous arrivons à avoir une vision pénétrante de la nature éphémère de nos expériences sensorielles et nous commençons à mieux connaître le danger de s’accrocher à ce qui fluctue et change. Nous réalisons alors à quel point il est ridicule de s’attacher à ce qui est fugace. Et grâce à cette réalisation, nous devenons naturellement réticents à gaspiller notre énergie à suivre les choses sur lesquelles nous avons peu de contrôle et dont la nature est de disparaître.

Comprendre le danger de suivre aveuglement nos sens, les désirs qui leur sont rattachés et les objets de ces mêmes désirs, est un aspect de la discipline. La compréhension amène naturellement la mise en application de cette discipline. Nous ne pratiquons pas la retenue des sens comme une fin en soi, mais parce que nous savons que les désirs sensoriels n’apportent nullement la paix et ne nous conduisent pas au-delà de l’identification à notre esprit et à notre corps.

Lorsque nous vivons dans un monastère, nous devons suivre les huit préceptes. Les cinq premiers nous enseignent ce qu’est l’action juste et la parole juste : s’abstenir de tuer, de voler, de toute activité sexuelle, de mentir et de prendre de la drogue et de l’alcool. Les trois suivants nous apprennent la renonciation, tel que s’abstenir de manger après une certaine heure, de danser, de chanter, de jouer des instruments de musique, de s’embellir et de dormir sur un lit haut et luxueux. Certains de ces préceptes peuvent paraître inappropriés de nos jours. Qu’appelons-nous ‘un lit haut et luxueux’ aujourd’hui par exemple ? Combien d’entre nous dorment dans un lit à baldaquin ? Ou pourquoi le fait de danser, de chanter ou de jouer d’un instrument n’est-il pas autorisé comme pratique spirituelle ? Lors de l’ordination en tant que nonne ou moine, nous prenons davantage de préceptes et apprenons à vivre avec une restriction encore plus grande. Renoncer à l’argent, par exemple, nous rend physiquement et totalement dépendants des autres. Ces normes peuvent sembler très étranges dans une société qui vénère l’indépendance et l’autonomie matérielle. Mais ces lignes de conduite prennent leur sens quand elles sont intégrées à notre pratique de méditation. Elles deviennent alors une source de réflexion et nous permettent de comprendre leur sens profond. Nous découvrons qu’elles nous aident à affiner notre conduite personnelle et à développer une profonde attention à la fois à nos activités physiques et mentales, et à notre rapport à la vie. De cette manière, quand nous regardons dans notre cœur, nous pouvons voir clairement les résultats et conséquences de nos actes physiques, verbaux et mentaux.

Suivre cette discipline nous ralentit également et nous demande d’être très patients avec nous-mêmes et envers les autres. Nous avons généralement tendance à être impatients. Nous aimons obtenir les choses immédiatement, oubliant que la plus grande partie de notre développement et de notre épanouissement vient du fait d’accepter que ce corps et cet esprit humains sont loin d’être parfaits. Une chose est sûre : nous portons en nous le résultat de nos actions passées dont il n'est pas facile de se libérer.

Par exemple, quand nous contemplons le précepte de s’abstenir de paroles incorrectes, nous avons l’opportunité d’apprendre à ne pas créer davantage de kamma avec nos mots et d’éviter que cela devienne une autre source de douleur et de souffrance pour nous-mêmes autant que pour les autres.

La parole juste (samma-vaca) est l’un des préceptes les plus difficiles parce que nos mots peuvent révéler nos pensées et nous mettre dans une situation vulnérable. Aussi longtemps que nous gardons le silence, cela n’est pas trop difficile. Nous pouvons même paraître plutôt sages jusqu'à ce que nous commencions à parler. Ceux d’entre vous qui ont participé à des retraites se souviennent peut-être d’avoir redouté de recommencer à parler. C’est tellement bon, n’est-ce pas, de simplement rester en silence les uns avec les autres ? Il n’y a pas de dispute, pas de conflit. Le silence est un grand pacificateur !

Quand nous commençons à parler, c’est une tout autre histoire ! Désormais, nous ne pouvons plus nous leurrer. Nous avons tendance à nous identifier fortement à nos pensées, donc, notre parole, expression directe de celles-ci, devient également un problème. Mais, à moins que nous apprenions à parler de façon plus habile, nos mots continueront à nous faire du mal et à faire du mal aux autres. À vrai dire, les paroles elles-mêmes ne sont pas tant le problème ; c’est plutôt leur source. Quand l’attention vigilante est présente, il ne reste plus de traces. Parfois, nous avons des propos qui ne sont pas très judicieux et, par la suite, nous recherchons une manière plus appropriée de nous exprimer. Mais si l’on parle avec attention, à cet instant précis, l’image que l’on a de soi-même et qui est profondément ancrée en nous disparaît ou du moins s’atténue.

Sur le chemin de la pratique, la discipline prend tout son sens. Lorsque vous commencez à entrer en contact avec l’énergie brute de votre être et celle de la colère, de l’avidité, de la stupidité, de l’envie, de la jalousie, des désirs aveugles, de la fierté et de la vanité, vous devenez très reconnaissant d’avoir quelque chose qui puisse contenir tout cela. Regardez simplement l’état de notre planète ; c’est un bon sujet de réflexion sur le résultat pitoyable dû au manque de discipline et causé par l’avidité, la colère et l’ignorance qui sont contenues et nourries en nous.

Donc, pour être capable de contenir notre énergie dans le cadre d’une discipline morale, nous avons besoin d’être très attentifs et très prudents car la plus profonde tendance de notre esprit est de s’oublier. Nous nous oublions nous-mêmes ainsi que le but ultime de notre vie. A la place, nous nous encombrons de détails qui ne peuvent nous donner entière satisfaction ni nourrir notre cœur. Suivre cette discipline nécessite de l’humilité car, tant que nous sommes immatures et que nous suivons nos impulsions, elle paraît nous réprimer, nous entraver et, en conséquence, au lieu d’être une source de liberté, elle semble nous emprisonner.

Nous avons de la chance d’avoir l’opportunité de pratiquer et de réaliser que nos actions, nos paroles ou nos désirs ne sont pas ultimement ce que nous sommes. Au fur et à mesure que la méditation s’approfondit, la nature impermanente de tous les phénomènes devient plus claire. Nous devenons de plus en plus conscients de l’aspect éphémère de nos actions, de nos paroles et des sentiments qui leur font écho. Nous commençons à avoir un aperçu de ce qui est toujours présent dans notre esprit mais qui reste néanmoins hors d’atteinte. Cette qualité de présence est toujours disponible et n’est pas vraiment affectée par nos interactions sensorielles.

Quand cette qualité d’attention est cultivée et devient continue, nous commençons à avoir une relation plus saine avec notre énergie, les contacts sensoriels et le monde des sens. Nous découvrons que notre attention vigilante est, en fait, une forme de protection. Sans elle, nous sommes simplement à la merci de nos pensées et des désirs qui nous aveuglent. Ce refuge de l’attention et le développement de la discipline nous empêchent de tomber dans des états mentaux douloureux et même infernaux.

Un autre aspect de la discipline est l’attention fondée sur la sagesse et une utilisation judicieuse du monde matériel. Notre contact immédiat avec le monde physique se fait par l’intermédiaire du corps. Quand nous apprenons à avoir un rapport sain avec le monde matériel, nous prenons alors soin des racines de notre vie. Nous faisons ce qui est nécessaire afin que notre corps et notre esprit s’harmonisent. C’est le résultat naturel de la discipline. Doucement, nous devenons une magnifique fleur de lotus qui représente la pureté et qui pousse hors de l’eau tout en étant nourrie par ses racines vivant dans la boue. Vous avez peut-être remarqué comment le Bouddha est souvent représenté assis sur une fleur de lotus qui symbolise la pureté du cœur humain. À moins que nous créions cette fondation de la moralité qui prend racine dans le monde de notre vie quotidienne, nous ne pouvons pas vraiment nous élever ou grandir comme la fleur de lotus. Nous nous fanons, tout simplement.

Dans la vie monastique, l’utilisation saine des quatre nécessités vitales –les habits, la nourriture, le toit et les médicaments – est une réflexion quotidienne qui est extrêmement utile car l’esprit est résolu à oublier, à mal interpréter ou à prendre les choses pour acquises. Ces quatre nécessités vitales sont une partie essentielle de notre vie. C’est un devoir pour nous, monastiques, de prendre soin de nos robes. Nous devons les raccommoder, les repriser, les laver et nous rappeler que nous n’en avons qu’un jeu et que ces robes sont venues à nous grâce à la générosité d’autrui. C’est la même chose avec la nourriture. Nous vivons d’aumônes ; chaque jour, les gens nous offrent un repas parce que nous ne pouvons pas conserver la nourriture pour le lendemain. Par conséquent, notre réflexion quotidienne avant le repas nous rappelle que nous ne pouvons pas manger sans penser attentivement à ce don. En tant que monastiques, nous contemplons également l’importance de l’endroit dans lequel nous vivons. Vous pouvez ne pas aimer la couleur des murs de votre chambre, mais la réflexion « cette pièce est seulement un toit sur ma tête pour une nuit » nous aide à relativiser nos besoins physiques. Nous considérons aussi que, sans le don de ces nécessités vitales, nous ne pourrions pas mener cette vie. Cette réflexion nourrit donc un sentiment de gratitude dans le cœur.

Prendre soin du monde matériel et de ce qui nous entoure est une partie essentielle dans la discipline de l’esprit et du corps, et dans notre pratique du Dhamma. Si nous sommes incapables de nous occuper de ce qui nous touche directement, comment pouvons-nous prétendre nous occuper des vérités ultimes ? Si nous n’apprenons pas à ranger notre chambre chaque jour, comment pouvons-nous gérer les complexités de notre esprit ?

Réfléchir sur de simples choses – telles que prendre soin de l’endroit dans lequel on vit et ne pas abuser de nos possessions matérielles – est très important. Naturellement, il est plus difficile d’agir de la sorte quand on a un certain contrôle sur le monde matériel et que l’on peut utiliser de l’argent pour acheter ce que l’on veut car on peut facilement penser sans réfléchir : « Oh ! J’ai perdu ceci ou j’ai cassé cela, peu importe ! Je m’en procurerai un autre. »

Un autre aspect de la discipline est le moyen d’existence juste. Pour un moine ou une nonne, il y a une longue liste d’activités dans lesquelles on ne devrait pas s’impliquer, telles prédire l'avenir ou participer à des affaires politiques, etc. Je peux de plus en plus en apprécier la valeur en voyant que, dans les endroits où le Sangha s’implique dans des problèmes du monde, cela mène des moines à posséder des objets luxueux ou à devenir même de riches propriétaires.

Le moyen d’existence juste est un aspect du Noble Octuple Sentier qui couvre un large éventail d’activités telles que ne pas tromper, insinuer, rabaisser ; ne pas s’impliquer dans le trafic d’armes, d’êtres vivants, de viande, d’alcool et de poison, en tant que laïques. Ces lignes de conduite demandent une considération attentive de la façon dont nous voulons passer notre vie et du genre de profession ou de situation dans lesquelles nous voulons être impliqués.

Les réflexions sur les préceptes, les nécessités vitales, les moyens d’existence juste et la discipline de notre esprit et de notre corps constituent les conditions sur lesquelles se bâtit la discipline ultime. Celle-ci représente notre totale dévotion à la Vérité, au Dhamma et à l’aspiration constante de notre cœur à aller au-delà de notre vie égocentrique. Parfois, nous ne pouvons pas dire ce dont il s’agit mais, avec la pratique de la méditation, nous pouvons être réellement en contact avec cette réalité, avec le Dhamma en nous. Tous les chemins spirituels et les disciplines spirituelles sont des conditions favorables et des moyens de maintenir en vie cette aspiration à réaliser la Vérité en notre cœur. C’est vraiment leur but.

Source : Traduction de l’anglais par Romain Robert et Valérie Melsion disponible sur dhammadelaforet.org